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Travail, sacrifice et manège. — L’individu sacrifie habituellement sa santé, son temps, sa vie en un emploi qu’il abhorre, et cependant l’épanouissement de son esprit, l’anoblissement de sa pensée, l’élévation de sa destinée sont parfaitement laissés de côté. Il y a un aveuglement terrible, dans cette vision de l’existence qui s’accorde avec l’orthodoxie ainsi que dans la recherche de la « grande » utilité au détriment de la personnalité. Et ce sacrifice — « Sacrifiez l’âme ! “Sacrifiez Iphigénie1” ! » — a lieu aussi bien au sein du travail manuel que du travail intellectuel. L’ouvrage même importe ordinairement peu : ce qui compte, aux yeux de la bête, c’est le labeur, c’est le sentiment d’appartenance, c’est la persévérance à l’intérieur de sa propre destruction. Terres mentales, ou bien terres concrètes : voici vos bêtes de labeur ! Toutes ces conditions condamnent généralement les enfants des peuples à environ quarante ans de travaux forcés ; ce qui, eu égard à la durée moyenne d’une vie, signifie : à perpétuité ! « Les mécanismes sociétaux doivent être protégés », entend-on, et cela requiert mercenaires, engagés volontaires — et involontaires ! Tout ceci est patent : il est un instinct de conservation de la vie physique, mais, ce qui manque, c’est un gardien pour l’individualité, un égoïsme tenace pour la conservation totale, — une égide pour la singularité. Mais, « égoïsme » : quel mot ne vient-on pas d’employer ! Et puis, « il faut produire », dit-on… On appelle manège, l’art de dompter un cheval, et travail, les exercices nécessaires à cette fin. Et c’est bien de ça dont il s’agit, dans nos cultures qui, à force de tournoyer dans la folle insouciance, donnent le vertige : d’une vaste attraction, d’un formidable manège !… D’une pieuvre géante et, — cannibale !
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Jean Racine, Iphigénie.
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