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Quoi ! tu n’apprécies pas le spectacle humain ! Es-tu devenu(e) insensible à sa prodigalité, à tout ce que l’Homme, sa bêtise, son originalité, son inventivité dans le grotesque, affiche, en somme, à ce que l’horrible et le ridicule ont à offrir à ses acteurs et à ses spectateurs ?… insensible à ce comique et ce tragique en profusion, à ce formidable banquet de la folie, — ce banquet de la vie ?
Et certes, cela requiert un œil averti, distingué, pour évaluer puis apprécier la scène, le tableau, l’esthétique cachée ! Et maintenir la profondeur et la proximité, la hauteur et le détachement, la clarté et la continuité d’une telle vision n’est pas chose aisée ! — Ce regard auguste et élevé, il faut savoir le hisser bien haut, pouvoir assurer la pérennité de son altitude et être en mesure de le « supporter » !
Car en effet l’âme qui voit les choses de plus haut, fait l’expérience de prodigieuses bourrasques, et il en faut peu pour qu’elle trébuche, cette dompteuse de versants, cette équilibriste des lignes de crêtes, — cette funambule des cimes ! Et cultiver cette art de l’observation ne laisse pas d’être une tâche extrêmement délicate, éprouvante et périlleuse.
Mais en définitive, a-t-on jamais vu plus noble esthète que cet oeil d’artiste sage, supérieur, élégant, — que ce regard raffiné qui sait reconnaître et goûter le sublime dans l’odieux, le comique dans le tragique, la gaieté dans l’absurde ? que cette nature d’exception qui sait évoluer — mais aussi désirer les moyens nécessaires à cette évolution et se les donner — en riant, dans cette atmosphère de tous les excès, au sein même de ses vents insensés, et en se nourrissant du grave comme de la folie ? J’entends cet être suffisamment sûr de son goût et de son dégoût pour l’humanité et pour la vie, pour se permettre, sans trop de craintes — sans risquer d’éprouver un choc trop violent, un vertige, un vacillement de l’âme trop important et surtout la terrible amertume —, de prendre part à la grande fête — à sa manière, cela va de soi : particulière, toujours, — singulière, avec constance ! Je veux parler de cet esprit qui possède la volonté et la force indispensables pour porter en soi et en tous lieux la lourde perspective rieuse, et pour la déployer sur les paysages sociétaux les plus variés, sur les contrées lointaines, proches et de toute sorte, sur les manifestations, les évènements, — les spectacles les plus divers…
Oui, toi ! ô âme avisée et sensible, oeil majestueux ouvert sur le monde, conscience dessillée qui embrasse le réel ! — Tu es celle dont les paupières sont capables, parce que ta vision englobe le vaste, mais également parce que tu parviens à percevoir les choses en te positionnant au plus près d’elles, de se promener parmi les créatures, et de rire aux larmes lorsque la multitude pleure, et de ressentir la plus amère affliction lorsque la foule s’esclaffe de rire.
Une destinée remarquable t’est réservée : celle d’une larme « inverse », « à contre-courant », dont l’existence s’écoule tantôt parmi les rires, tantôt au sein des pleurs…
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