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Il est de multiples façons d’ensevelir les morts.
La plus moderne étant de procéder à la mise au tombeau lorsqu’ils sont encore à moitié vivants.
Les consciences sont inhumées par les mains macabres de la routine, du conformisme, de la platitude — elles sont entièrement recouvertes.
La vie est engloutie par les chimères ; à notre époque, on ne sent quasiment plus ses vibrations souterraines, le frémissement de nos jours, — et lorsque cela arrive, ce n’est le plus souvent qu’à travers l’épaisseur du formidable voile de l’illusion qu’elles sont perçues.
La véritable aptitude à imaginer, à laisser aller sa pensée, ou à méditer profondément sur quelque chose peu à peu s’estompe, comme un portrait qui serait témoin de la fuite de ses couleurs : des cheveux, des lèvres, un teint blafard, défait sur le point de s’évanouir. — Les esprits désapprennent à rêver ; ils se dépossèdent du désir et du temps nécessaires à sa pratique pourtant si essentielle.
Les peuples s’enterrent dans des activités aliénantes, dans des certitudes pâles, atones, dans des paradigmes trompeurs, sclérosants, livides… Les âmes s’enferment dans une réalité rendue décolorée, morne, — morbide.
En définitive, ce sont les plus belles, les plus vigoureuses forces de vie que l’on s’évertue à exiler, à réduire en cendres, en poussière — que l’on confine six pieds sous terre. C’est un corps plein de vigueur que l’on porte en terre avec des cérémonies grotesques. C’est à un lugubre convoi que l’on assiste impassible et inconscient : c’est l’existence même que l’on bafoue, méprise, couvre de honte — que l’on recouvre du linceul de l’oubli.
Oui, les obsèques ont bel et bien lieu en ce moment, et elles ne sont pas belles. Le ridicule achevé de ces horribles tragédies suffit à déposer dans certains yeux et certains coeurs des larmes plurielles : à y déverser des éclats et des lames de tristesse et de rire.
Comment dans ces cimetières vastes comme la Terre, creux comme un coeur, infinis comme une conscience, ne ressent-on pas que l’inhumation est trop hâtive, qu’elle est prématurée, et, que dans toute sa puissance, sous les couches profondes du sommeil, le magma bouillonne, n’entend pas se laisser faire et prépare ses épanchements ? Et ce n’est pas par peur mais de rage que la sève vitale réunit ses énergies latentes, qu’elle prend son élan. — Car il compte bien faire parler la fougue et désintégrer le couvercle, l’instinct belliqueux !
Les fissures naissent, la vie gronde… Ne l’entend-on pas ?…
Les consciences sont endormies comme des cités ensevelies sous les sables. Mais les coeurs battent toujours… — Ne le sent-on pas ?…
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