1. Réalité nue.
Si tu lui montrais tous tes objets, tous tes mystères, tous tes codes, si, soudainement tu te mettais à supprimer dans l’esprit de tes fidèles les songes, les désirs, les quêtes, où iraient se loger la substance, l’expérience tant vitale : l’intérêt, la gaieté, l’enthousiasme ? Ah ! sublime Réalité ! Toi, la reine de la pudeur, qui voile tes significations, tes charmes, tes secrets… Comme tu égares, perturbes, attires !… Comme ta progéniture est vaste, diverse, monstrueuse !… Et combien vos souffles, ensemble, depuis la plus haute antiquité chavirent des choeurs exquis : de courageux et fins voiliers de cœur ! — Il est vrai que ces derniers lamentent parfois ; pourtant, ignorent-ils ceci, que s’il en était autrement, alors, selon les paroles de Koestler, « la muse dénud[erait] son sein flétri comme une catin trop obligeante ; il n’y [aurait] plus de promesse voilée, plus de mystère, rien à deviner » ? Songent-ils à tout ce qui en découlerait : dans quelle tristesse la science, les arts, les hommes seraient plongés ? Se représentent-ils ces montagnes de gains qui seraient, dès cet instant, pour l’imaginaire, la curiosité, l’ivresse autant d’océans de pertes ? — Le cœur d’un homme pourrait-il même concevoir une navigation dans un espace-temps au sein duquel la possibilité même de rêver serait comme tout exilée ? le bel organe, battre au milieu d’un récit où, le « bonheur de deviner peu à peu » (Mallarmé) serait un parfait étranger, survivre dans une mousse où, l’objet étant nommé, et pour reprendre les termes de ce dernier, « la jouissance du poème » serait supprimée ?…
2. Critique de la critique.
— A : Ton esprit ne laisse pas de critiquer : ta langue bifide s’agite dans la continuité — depuis des années, de ta gueule il pleut des cordes, des hallebardes, des obus. Verra-t-on ce jour où, cette épaisse fumée noirâtre de ton crâne s’échappera, où, tout ton venin lassé définitivement s’épuisera ? — B : C’est que mon âme ne s’élève, à ne pouvoir l’être davantage, non pas dans ce qui est, mais dans ce qui est possible. Que, n’oubliant jamais l’ampleur de la masse et de la luminosité de mes rêves, il ne lui reste d’autre choix que de tenter de courber l’actuelle réalité. Car, en définitive, après avoir vu un ange prisonnier dans le marbre comment ne pas être transformés, — et ne point plonger en désespéré dans les flots constants des coups de ciseau ?…
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