1. Paire de doutes et courage double.
Si tu songes à entreprendre une tâche ardue, et il n’y a pas mieux à faire, tu devras, au milieu des sceptiques et des moqueurs t’armer d’un courage double afin d’affronter la paire de doutes — intérieur et extérieur : d’abord, pour surmonter ta faible confiance en tes propres capacités, laquelle ne cessera jamais de te tirer vers le bas, ensuite, pour vaincre les soupçons de la multitude d’êtres que ta volonté croisera nécessairement en chemin. Il te faudra également poursuivre ton sentier les yeux rivés à la cime des monts, non pas par prétention, mais parce que ta sensibilité, ta raison, ton imagination, tout enfin, en toi, t’invite à cette destination. Et, plutôt que d’écouter attentivement dans l’immobilité d’une affreuse sculpture les paroles environnantes, ces ignorants ne respirant que pour t’instruire, rassemble tes forces, car, tu ne peux douter que pour un tel voyage tu en auras bien besoin, tu ne peux croire que l’art soit une place de facile accès… tu ne peux te représenter ce lieu — à l’écart d’une difficulté et d’un effort toujours croissants.
2. Amorphe.
Tant de visible et d’invisible, de mystères, de charmes, de présence et d’absence, d’infinis sont susceptibles d’être devinés, ressentis, effleurés par les esprits. Et pourtant… Les plus étonnantes, rares, pures merveilles ont beau se produire… les filles et garçons, les enfants du monde, la progéniture de la nature semble insensible, les cœurs des fleuves gelés : le manque de frémissements et l’excès de lassitude courent ensemble dans les vastes salles, hantent les êtres, habitent cette foule invraisemblable, ces spectateurs éperdus, ces âmes hagardes — cette assistance amorphe.
3. De la continuité de la conscience.
Ah ! la conscience ! Quelle solidité de structure ! Quelle permanence ! Et, surtout : quelle illusion de continuité !…
4. Périodicité.
Les sociétés humaines peuvent se développer de plusieurs manières. La première, par un simple mécanisme de répétition : les individus adoptent les mêmes façons de penser, d’agir, de sentir ; des pièces humaines semblables s’assemblent — la périodicité agit, la structure grossit, l’identique s’applique et prospère. La deuxième, par un processus de différenciation : les êtres possèdent des rôles distincts et se singularisent ; les consciences se lient les unes aux autres sans perdre leur individualité — l’organisme se développe, la diversité émerge et fleurit. L’une, paraît plus cohérente, stable, solide ; l’autre, davantage déséquilibrée, imprévisible, folle — cependant, est-il bien nécessaire de rappeler que l’évolution a choisi le hasard, les mutations, la diversité ? Doit-on préciser lorsqu’il est question de « matière » sociale et de cet immense « organisme » qu’est l’humanité de quel côté penche la pérennité, de quel côté penchera la survie ? En conséquence, il n’y a pas d’alternative : l’épanouissement des peuples ne passera par un chemin différent de celui qui incarne les propriétés du « solide apériodique1 » (je souligne).
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Erwin Schrödinger.
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