L’époque est relativement quelconque, mais l’événement, cet homme, est en tous points remarquable. Et il l’est tellement qu’on le dit étranger… Le phénomène habite une modeste cabane isolée. Si un passant curieux s’approche de l’improbable endroit et qu’à travers les petites fenêtres il regarde de plus près, en percevant les effets de l’invisible souffle remplissant les poumons de la rudimentaire construction, il peut voir surgir soudainement, devant ses yeux ébahis, la majestueuse entité : le magnifique château ! Un je ne sais quoi d’éblouissant saisit alors les orbites de l’hardi spectateur ; toute cette sobriété étalée en chacune des pièces et pas une seule faute de goût ne viennent contrarier l’heureuse disposition des lieux. Assurément, « Ouranos », ainsi surnommé, est un être à part. Son âme est son socle et, s’érigeant sur celui-ci et plongeant les racines de son immense stature dans ce noble terreau, dans la matière altière, reposant sur son propre fonds naturel, sa personnalité s’élève dans la plénitude, elle s’étend — son univers connaît l’expansion. Quelquefois, quittant temporairement sa demeure, il descend à la rencontre des hommes. D’aucuns, croyant assister à la venue du vulgaire, se mettent à le fustiger, la différence cela fait gloser, il n’est rien de nouveau ici ; d’autres émettent les louanges les plus hautes ; des pierres sont jetées ; de l’encens est offert… Peu importe !… Car la marche de son esprit ne se produit pas au-dessus de la critique et de l’éloge ni au-dessous, non, elle se dissimule parmi les dimensions supplémentaires, au sein des plis et des replis, en pleine lumière ! — elle est à l’écart : là, présente, ailleurs. On aperçoit donc l’homme sans âge, il se promène dans son vaste jardin à toute heure, dans ses sensations, ses sentiments, son domaine imaginaire, à l’intérieur de son être, — et son immersion est si profonde que l’idée selon laquelle il communique avec le reste du monde n’apparaît plus excessivement déraisonnable, devient même plausible, — ne s’éloignant de sa tâche, d’après les apparences, qu’à de très rares moments, et pour des motifs inconnus du grand nombre. Personne ne l’a jamais vu se sustenter ; il semble exister en lui-même comme une source fabuleuse où il puise sa vigueur, son son élan, sa santé. Quand ses pieds s’arrêtent de gambader, c’est pour mieux apprécier : la danse se repose afin qu’il puisse goûter les fruits les plus rares, les plus purs de la vie, les choses les plus distinguées, les excellentes beautés, les sublimes délices. Et il ne se déplace pas avec la complète solitude ; continuellement il emporte son assurance naturelle, et ensemble ils naviguent sur le flux de l’aisance. Les observateurs perspicaces, ceux au plus proche de la réalité, s’imaginent, de temps à autre, éprouver une manière d’intense hallucination ; cependant ce n’est que dans ces quelques et fugitifs instants qu’ils approchent la véritable essence de leur vision : — l’espace, le temps, pliés, emmêlés, rassemblés en un mollusque divin ; une créature emmenant avec elle et toujours et partout son trésor, sa sérénité, sa force… — Ouranos, portant derrière le dos sa maison, ses propriétés, sa destinée, Ouranos, celui qui n’est et ne se sens nulle part en exil, puisqu’étant en chaque région chez lui — puisqu’étant en toute contrée… en soi.
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