1
Chymification. — Qui prend encore le temps, et a la capacité, de transformer en bouillie alimentaire la nourriture ingérée par son esprit ? Qui donc fait appel aux indispensables enzymes ? Qui enfin pratique la noble digestion, la grande chymification ?
2
Pour pouvoir parler d’indicibilité. — Combien ont le droit d’employer le mot indicible. J’entends, de qui peut-on dire : « Cet individu est parvenu à une telle maîtrise de la langue, une telle puissance de la pensée, une telle profondeur dans l’imagination, habite une telle intensité que je conçois bien et accepte sans difficulté lorsqu’il annonce : “Ce que je vois, ce que je ressens, ce que je forme dans mon esprit, tout cela appartient à l’indicible” » ? Combien donc ?…
3
Conseil de voyageur. — Contre la niaiserie humaine ? Les protections auditives, et visuelles : les bouchons et les masques… Afin de pouvoir vivre, quand les autres dorment.
4
Noir attentat. — Des entreprises criminelles sont commises contre l’esprit, contre la sûreté des valeurs les plus belles. Les tyrans impitoyables, ces amants de la nuit, ces vents de l’intérieur hurlent, invisibles : ils grouillent au fond des grottes humides et profondes, des cavités obscures et désertées. C’est là, dans ces régions réunissant les conditions favorables, que les idées sombres grandissent, que les fruits infernaux, les fruits du « mal », mûrissent. On a laissé la folie s’épanouir, et par des graines sans nombre répandues sur le globe, c’est un œil noir qui, désormais, sur l’humanité pose ses rayons enfumés. Laissera-t-on ces ondes tristes, ces meurtrières hâler nos campagnes ? Permettra-t-on à l’égarement de dévaster le jardin ? L’invitera-t-on même à poser ses bagages, à nous tenir longuement compagnie, à s’installer confortablement dans le fauteuil étriqué de notre cerveau ? — En définitive, l’homme frappera-t-il la terre de son front devant le sceptre monstrueux des tempêtes enragées ?
5
Émotions et sentiments. — Tu te crois doué, toi, l’animal social, pour détecter mes émotions. Mais essaye donc de percer plus avant le voile, essaye tes forces pour voir : éprouve ton impudence ainsi que ta fatuité, et constate ; puis informe-moi quand tu seras en mesure de découvrir mes sentiments !…
6
Les deux scènes et la valeur. — La grande valeur du travail de l’artiste réside, principalement, dans l’exposition même de sa conscience nue, devant les yeux du public. Des sentiments humblement dévoilés, les formes et le fond de la scène la plus intime et la plus secrète, se déployant sur la scène publique, et cette tension — dus à cette transition qui s’opère et au jugement d’autrui qui approche —, presque insupportable : permettre que l’on crache sur son cœur, et, encore davantage, que l’on admire la hideur du spectacle, — tout ceci n’est pas accessible à toute âme. Aussi, comme souvent, l’unique, l’authentique, l’héroïque — créent la valeur.
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