1
Naissance de la tristesse. — Tout d’abord, est l’émotion de tristesse, puis vient le sentiment de tristesse et enfin les pensées liées à la tristesse. Il existe cet étrange cercle : pensées, émotions, sentiments et pensées qui découlent de ces sentiments… et le cercle se poursuit. Pour rompre le cycle, la raison ou une distraction doivent intervenir1. Sachant cela, voici un fait dont la valeur est extraordinairement sous-estimée : simuler un état de gaieté engendre la gaieté ! L’individu, en faisant comme s’il était rempli de l’émotion de joie, déclenche les sentiments et les pensées engendrant l’expérience vécue qui lui fait dire : « Je me sens joyeux. » Tout ceci est bien résumé par Damasio quand il écrit : « Les expressions émotionnelles qui ne sont pas motivées psychologiquement et sont “jouées” ont le pouvoir de causer des sentiments2. » Il devient évident, comme l’avait déjà fait remarquer Mihalyi Csikszentmihalyi, dès le début des années 903, que le contrôle de nos pensées et, plus généralement, de notre « énergie psychique », est essentiel pour celui qui désire ne pas subir constamment le chaos mental, l’entropie psychique. — La naissance de la tristesse dans la conscience se produit là où la maîtrise de la « matière mentale » est absente : au moment et à l’endroit où, volontairement ou à son insu, l’attention, le maître — abandonne son palais.
2
Supporter l’insupportable. — Voici au fond ce que doivent supporter les êtres qui, quoique à l’écart, vivent tout près d’eux-mêmes et du monde : l’étrangeté, l’inexplicable, la lassitude ; et parfois la nausée…
3
Les sentiers de la monotonie. — Le poids de l’habitude et la peur soutiennent la répétition des phénomènes, une réitération presque à l’identique : les mêmes paroles, les mêmes questions, les mêmes rires et pleurs. Les rencontres nouvelles, les apprentissages neufs, les expériences fraîches sont comme bannis du quotidien, repousser au plus loin. Marchant dans la forêt des relations humaines, les sentiers connus sont le plus souvent privilégiés ; ailleurs, les ombres, par un mécanisme ordinaire, agitent leurs masques bizarres et difformes, la simple vue desquels étant suffisant pour semer l’épouvante dans les esprits les moins confiants. Et pendant ce temps, les voies usées s’affirment, se rassurent, — s’élargissent.
4
Renforcement musculaire. — En renforçant notre esprit par des exercices dont l’intensité et la difficulté augmentent graduellement, en un moment, tout ce qui nous semblait insurmontable, d’airain, implacable, inconnu nous paraîtra accessible, doux, aisé, familier. En formant son corps et son coeur dans et par les obstacles, les tourments, les ouragans, ils acquerront, — de la fermeté, de la légèreté, de la force, de la gaieté.
5
Processus de reconstruction. — Tu éprouves les grandes peines, les terribles souffrances, les pires incertitudes, et tu te crois le plus malheureux des êtres, le plus misérable, le plus malchanceux. Or ce que tu prends pour une punition, un châtiment, une horreur, se trouve possiblement être une aide précieuse, une perche tendue par toi-même pour ton moi qui se noie, en somme, un événement heureux. Car tellement d’idées fixées attachent les âmes, tellement de mensonges brouillent la vie, et les occasions fréquemment manquent afin que les esprits puissent changer, se transformer, tendre vers eux-mêmes. Mais en place des mains apportant leur aide on voit des lames ; et sur le visage des belles opportunités on dessine d’abominables dangers. Tout, finalement, contribue généralement à encourager la crainte et la fermeture, la paresse et la routine. Ainsi, les cataclysmes à l’intérieur des coeurs ont cela de bon qu’ils perdent les repères, qu’ils abattent les frontières, qu’ils affectent les circuits cérébraux désuets : le vertige, l’ébranlement des certitudes, la brume obligent l’individualité à chercher un équilibre inédit, à se rétablir, à rebondir ; en brisant les liens, en excitant la plasticité et la flexibilité, c’est le don de la liberté qui lui est proposé, c’est un élan inédit qui lui est offert — pour peu qu’elle supporte les différences phases du processus de reconstruction, mais, avant tout, qu’elle tolère la présence des secousses et des tempêtes, voire même qu’elle les recherche. Les périls sont bien réels, et les métamorphoses continuelles et viables ne s’opèrent qu’au sein des âmes fortes ; seul un petit nombre de personnes y voit un intérêt : et, en vue de la stabilité du système, de sa pérennité, c’est sans doute mieux ainsi ! Répétons-le : trop peu seraient capables, dans la persévérance, au milieu des vents, de « se fonder » avec un cœur, leur propre cœur, si vacillant…
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Cf. Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison (Paris, Poches Odile Jacob, 2005, 2003), 78.
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Ibid., p. 80.
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Cf. Mihalyi Csikszentmihalyi, Vivre (Pocket Évolution, Éditions Robert Laffont, 2004, 1990).
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