1. L’homme qui éprouvait des émotions.
Une vision. — Des âmes froides par milliards, incapables de ressentir, de vivre, et, peuplant les forêts de l’apathie, encore davantage d’électrodes. Une télécommande géante, un stimulus électrique artificiel régnant en maître, tous deux déclenchant, selon les besoins, tantôt le rire, tantôt les pleurs.
2. L’équipement.
Tous les esprits se meuvent dans une mer d’illusion, de superstitions, d’entités surnaturelles ; mais d’aucuns sont naturellement munis de l’équipement de base : d’un masque, d’un tuba et de palmes. « Le rêveur flotte parmi les fantômes des profondeurs ténébreuses ; le poète est un plongeur muni d’un tube respiratoire » (A. Koestler)…
3. Le corps et l’esprit des mots.
Les représentations anciennes s’effacent, les cadres existants s’évanouissent ; au-dessus des lois, à l’intérieur d’une idéation devenue spontanée, d’un chaos fécond, d’un mouvement délié, émancipé, la pensée créative célèbre son existence, sourit, — virevolte. Et, bientôt, amenés par des vents inconnus, les premiers signes se mêlent, le verbe annonce sa présence : les ailes frémissent, les mots se posent sur leur support, frais, inédits, énergiques. Au sein de ce processus complexe, au milieu de cet enchaînement portant en lui les traces de l’évolution — celle de l’espèce, de l’individu, de sa pensée et, maintenant, de sa phrase —, participant à la valse de la plume, interviennent, et d’une manière essentielle, l’émotion, le sentiment… la sensibilité esthétique, la cénesthésie… l’intégration : le corps et l’esprit.
4. Migration créatrice.
Ignorant tout ce qui est tenu communément pour le bon sens, baignant dans l’illogisme, flottant dans l’absurde, il relie, dans la patience la plus pure, les points les plus éloignés, les abstractions les plus étrangères : des sensations, des perceptions, de la matière consciente et inconsciente — il convoque les idées, ils rassemblent ses affluents. C’est en cet état presque irréel que, résidant à la fois en tous lieux et nulle part, indifférent à ce qui a été et a ce qui est, profitant de l’élan acquis, et sans forcer, semblable à un poisson dans son élément, l’animal inventif regagne la surface. Là, il ouvre momentanément la bouche, et déverse ses idées neuves, ses flux jadis endormis, son fleuve d’or ; momentanément car, déjà, la créature des abysses a disparu, qui vagabonde désormais parmi les régions incertaines, et pour un moment… — avant la prochaine migration, la future création, l’impatiente ascension — avant sa plongée dans les eaux plus claires, sa remontée du mystère vers la lumière.
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