Des tempêtes se lèvent à l’intérieur des crânes, et, généralement, les victimes se contentent de les essuyer.
En négligeant la valeur de l’interprétation des évènements, en oubliant l’importance de la maîtrise de ce qu’elles ressentent : directement ou indirectement, elles choisissent de subir.
Au lieu de redresser la tête, et d’affronter les vents – les bons et les mauvais : les joies et les tourments – dans la pleine possession de leurs moyens et en étant profondément conscientes, elles se courbent sous le joug des éléments, elles ignorent leurs possibilités, elles négligent leur volonté ; et ne sachant pas embrasser la jolie et forte brise, incapables de recevoir la bise de la nature, de leur mère, elles ont à supporter sa véhémence, sa rudesse, sa fureur. Qui sème l’indifférence, l’inconscience, l’insouciance, qui ne porte pas son être vers la possession de lui-même récolte l’agitation, le désordre, l’ouragan.
Le péril, malheureusement bien méconnu, c’est qu’en face, autour, à l’intérieur de toutes ces âmes, il est une indifférence bien plus grande : prodigieusement prononcée – celle de la nature même !
Car est-il encore possible de croire, que le sort à ces petites consciences leur soit redevable, qu’il demeure dans une sorte d’obligation morale d’honorer d’une façon ou d’une autre les existences humaines, de se dévouer pour leur salut, d’encenser leurs autels, en somme, qu’il se doive à ses enfants ?!
« Les sentiments que chacun éprouve à propos de lui-même et la joie que chacun tire de la vie dépendent en fin de compte des filtres de l’esprit, des interprétations que chacun fait de ce qui lui arrive quotidiennement1 », affirme Csikszentmihalyi. Oui, et pourtant, presque toujours, la face baissée, la détermination engoncée dans un costume manquant d’ampleur, le regard enfoncé dans ces pieds qui ne savent plus bouger – tels des clous dans de vaines murailles –, ces vies individuelles continuent à défiler et à se défiler ; parfois les créatures s’emportent, certes, contre les affres du temps, mais, implacablement, grâce à leur passivité générale, à leur négligence inouïe, elles sont emportées en son torrent.
Les êtres avalent des substances toxiques, des influences néfastes, des idéologies pernicieuses, des concepts fallacieux ; ils se racontent d’incroyables histoires, à chaque fois davantage farfelues, davantage grotesques : sur la scène du psychisme se jouent les plus basses folies, évoluent les plus formidables errances, se produisent les plus belles parties de débauche.
Mais que se passe-t-il donc ? – Au milieu des perturbations atmosphériques, parmi les innombrables vagues, les voyageurs au long cours, les pilotes, en lâchant les timons, perdent leur tête.
Toutes les circonstances nécessaires se réunissent et, déjà, on peut observer en tous lieux, des individus ballottés, des épaves encore flottantes à la merci des flots : des corps perdus, attristés, désemparés – des bûches surnageantes, qui, précisément parce qu’elles méprisent la maîtrise de soi, quittent à leur insu le navire, qui, justement parce qu’elles abandonnent la maîtrise de leur vie, la désertent complètement.
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Mihalyi Csikszentmihalyi, Vivre (Pocket Évolution, Éditions Robert Laffont, 2004, 1990), 34.
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