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La liberté est le « pouvoir d’exercer sa volonté ou d’opérer des choix1 ».
Elle peut être définie comme l’« état d’une personne qui peut agir et penser sans contrainte2 ».
La règle, le conformisme, les conventions affaiblissent le sentiment d’identité et de liberté individuelle. Cette liberté civile, c’est-à-dire ce « droit d’agir et de se déterminer souverainement, dans les limites imposées par la loi et le respect des droits d’autrui3 », doit être encouragée dès le plus jeune âge. Il s’agit d’ouvrir l’éventail des opportunités et non pas, comme cela est la norme à notre époque, de réduire toujours plus le tunnel du futur, de saccager le champ des possibles « promis » à tout un chacun, par ces unités d’informations virales qui sévissent, par ces conceptions traditionnelles obsolètes, dogmatiques qui véhiculent les spécifications, les illusions, l’erreur.
Ces idées, inséminées dans les esprits — lesquels évoluent dans une sorte d’inconscience généralisée, aveugles des chaînes conceptuelles, des croyances, des préjugés, des évaluations arbitraires, des conceptions artificielles « trop humaines » —, délimitent, circonscrivent, rivent et paralysent la pensée. — Pour ces personnes, ces victimes — plus ou moins sept milliards —, la notion de liberté signifie uniquement l’expérience d’une réalité altérée, l’expérience d’une « douce » chimère. — Elles ont perdu toute liberté de jugement, cette « possibilité de se former une opinion en dehors de toute influence, de tout préjugé4 ».
Des sociétés, des modes de pensée, des libertés « nouvelles » sont nécessaires, et ce dont il va être question dans le développement qui va suivre, c’est de métamorphose, de cultures émergentes, d’indépendance, d’engagement, d’inventivité, d’art et de don.
Sociétés et formes de pensée actuelles
Les villes, l’économie, le monde du travail, en somme les systèmes, les organisations sociétales et les formes de pensée qui leurs sont associées attirent par millions, par milliards leurs nouvelles recrues, lesquelles sont portées par l’illusion de sécurité du conformisme, abusées par la poudre d’un espoir projeté, malsain, par le voile de la fantaisie, à travers cette vaste poursuite des chimères, à travers cette immense fabrique de rêves. Et peu d’entre elles ressentiront à nouveau — mais l’ont-elles jamais vécu ? — ce sentiment exprimé par les paroles de Gautier :
« Cela le réjouissait de voir des champs, des buissons, des bois, des animaux en liberté, spectacle dont il était privé depuis qu’il habitait la ville5. »
Évidemment, il ne s’agit pas seulement de la « liberté de l’eau et des forêts6 », de la liberté comme un « état de la nature (caractère d’une de ses manifestations) en tant qu’elle ne porte pas la marque de l’homme7 » mais aussi de « buissons », de « spectacle » foisonnants d’idées originales et de pensées plus libres, moins circonscrites par des « orées », des frontières artificielles, — des barrières, des « clôtures » superficielles.
Où sont donc passés ces esprits libres, qui grandissent et s’épanouissent tel le peuplier de Lamartine, lequel « jetait son voile pâle et mobile sur toute cette vallée du fleuve » ? — cet « être » à la volonté plus élancée, cette nature plus émancipée qui, « comme il n’est pas ébranché ni planté par la main de l’homme, […] y croît par groupes, et y étend ses rameaux en liberté avec bien plus de majesté, de diversité de formes et de grâce que dans nos contrées8 » !
Le régime féodal moderne
La liberté désigne le « degré d’indépendance que l’on juge normal et légitime pour le citoyen, le peuple, la nation et que l’on érige en valeur suprême, en idéal9 ».
Et pourtant, notre société travailleuse — ces colonies de fourmis, ces masses besogneuses — et nos empires mentaux, incarnent le type du régime féodal : les cerveaux actuels sont les « fiefs modernes » et nos esprits les « vassaux » des influences, des pressions, des champs de forces des « puissances » extérieures, lesquels s’infiltrent, « exproprient », prolétarisent. En se soumettant systématiquement aux interprétations, évaluations, jugements de valeur, à l’autorité d’autrui, l’humain ne s’appartient plus : il se dépossède de lui-même.
Reconquête et libération
Reprendre sa liberté requiert la possession d’une âme hardie. Se défaire d’une croyance ancrée, d’une conception tenace, d’un engagement, d’un lien affectif fort ; faire le choix de la liberté, s’extirper de la bobine mentale de chaînes emmêlées, se dégager de la toile des sentiments anarchiques, chaotiques, des forces emprisonnant, des cellules des préjugés et des évaluations étriquées qui retiennent captifs, captives : combien de personnes en sont capables ? Et parmi elles, combien mettront en œuvre ces actions, les traduiront en une réalité effective ? Ainsi donc, combien représenteront cette définition de la liberté en tant qu’« état d’une personne qui n’est pas en captivité, qui n’est pas emprisonnée10 » ?
En définitive, combien échapperont aux énormes « araignées », glaciales, menaçantes des greniers psychiques encombrés et poussiéreux ? — Combien exploiteront cette liberté de pensée et d’expression tombée en désuétude ? cultiveront les germes, stimuleront le vaste arbre de la liberté, permettront à ses branches de se déployer ? favoriseront son essor, sa plénitude ?
Métamorphose sociétale : cris et appels
La société sollicite ses écrivains engagés, courageux, cette liberté de plume qui affirme, détruit, qui se déverse, qui répand sa sève, sa vitalité.
Que faites-vous de votre liberté économique, de votre liberté du travail ? Que faites-vous de cette liberté de pensée évoquée précédemment, de ce « droit pour tout individu de communiquer une opinion11 » ? et particulièrement de votre liberté de la presse en tant que « droit de communiquer une opinion, des idées en la ou les diffusant et notamment en la ou les publiant12 » ? Car ce que permet l’explosion du Web avec ses sites, blogs et réseaux sociaux, c’est de donner la possibilité aux individus engagés de s’exprimer, de contribuer à la création de savoirs, de valeurs et de les partager, de diffuser leurs messages, de fédérer, et cela dans des proportions, à des échelles qui étaient encore inconnues, inimaginables il y a quelques années. L’individu par cette capacité, cette opportunité émergente et inouïe de créer, de participer, de transmettre et de rassembler est plus que jamais un « leader » comme le déclare Seth Godin13, mais surtout et c’est cela qui est essentiel, un créateur potentiel de connaissances, d’évaluations inédites. Le pouvoir que confère les nouvelles technologies aux individualités est considérable. De tout ceci découle la question déterminante de savoir ce que fera l’humain de cette liberté, de ce pouvoir. L’utilisera-t-il afin de fonder une économie neuve, une économie collaborative favorable et viable, créative, une économie de la redistribution, de la contribution, du partage ? — cette « économie contributive néguentropique et redistributrice, c’est-à-dire juste » que prône Bernard Stiegler14 — ou bien l’exploitera-t-il afin d’épancher toujours plus sa soif de puissance, de domination et de profits, afin de créer toujours plus de prolétarisation, de détruire toujours plus les possibilités formidables d’émancipation, d’individuation, de singularisation, d’émulation ? L’humanité favorisera-t-elle une technologie et une économie empruntant la voie de l’aliénation, de l’emprisonnement, de l’égoïsme, de l’automatisme ou bien privilégiera-t-elle un chemin différent, celui de la singularité, de la libre pensée, de l’intelligence collective en vue de cette notion complexe que constitue l’idée de bien commun ?
Car liberté peut s’entendre aussi de l’« état d’un pays, d’une nation qui n’est pas sous une domination étrangère15 ». Et il y a ces puissances et ces même rapports : certains esprits établissent leur empire sur la multitude qui se retrouve ainsi dans un état de soumission, d’assujettissement, — plongée dans l’hébétude.
Dans ces mains « habiles » ou alors dans d’autres plus « sages », les nouvelles technologies — et les technologies numériques en particulier — serviront la manipulation des masses, l’esclavagisme des « Temps modernes » ou bien la liberté, la créativité, la coopération. Ce dont il s’agit ici c’est soit d’une utilisation positive de la technique, d’une émancipation systémique, soit de la servitude de la « modernité », d’une aliénation généralisée, — d’une folie exacerbée.
Quand les individus lutteront-ils pour leur liberté ? Quand se libéreront-ils des liens internes, des innombrables passions pernicieuses, des instincts vils, de toutes ces formes détestables de laisser-aller, d’oisiveté, de médiocrité et de la tyrannie extérieure des normes, des conventions, de toutes ces contraintes, ces exigences étrangères consenties dans l’irréflexion qui réduisent, limitent, altèrent, égarent ?
Et l’heure n’est-il pas venue d’une société plus « leste », plus déliée ?
Mais les organisations humaines sont-elles prêtes ? les consciences suffisamment élevées, nobles ? nos civilisations assez évoluées, raisonnables, mûres pour s’émanciper de la règle, pour jouir pleinement de ses libertés individuelles, de ses capacités de synergie, de son inventivité ?
Car il ne suffit pas que le temps lui-même s’impatiente ! que le terreau le « réclame » ! y soit favorable ! — Les germes doivent aussi réunir les marques, les types, les caractères et « natures » nécessaires et laisser transparaître les rares présages.
Comment le savoir ? comment répondre à la question ? — Un regard suffit : la haute « vision » d’un aperçu, laquelle détecte les signes, laquelle « révèle ». — Mais quels signes ?… Où donc résident les indices ? où se tapissent-ils ?… Vous m’avez compris…
Préparation des « terres », « cultures » émergentes et « assainissement » mental
Des « cultures », des « terres spirituelles » plus libres doivent être préparées, labourées, par des cultivateurs vigoureux qui transmettent leurs forces aux pousses, aux fleurs récemment écloses, aux arbres élancés, émergents à venir, ces cimes soulevées, aspirées par les nues : des penseurs, des écrivains, des entrepreneurs, des hérétiques, des artistes, des défenseurs de la liberté majestueux, engagés, pour une « Terre » plus féconde, plus prospère, — « libérée ».
Mais actuellement, où demeure cette liberté dans l’expression du style, cette audace dans l’élaboration, cette détermination et cette facilité dans la mise en œuvre, qui caractérisent les auteurs « vrais », ceux qui écrivent avec le sang, les larmes, l’airain ? — Ceux-là même qui s’incorporent à l’oeuvre : j’entends ces personnes créatives, ces « pianistes » qui font montre de leur virtuosité, qui laissent l’esprit gémir, virevolter, danser sur les « touches » et qui lui permettent de peindre par petites touches délicates et résolues, ces idées, ses convictions, ses représentations déposées sur la « toile ».
Où demeurent ces âmes aériennes déchargées de leurs entraves ? ces esprits qui ne sont plus enracinés, rivés au sol des croyances communes, de l’épistémè ?
Car s’il est bien une chose rare, c’est cette liberté d’esprit en tant qu’« indépendance de l’esprit à l’égard de la tradition, de l’autorité, des croyances établies, des préjugés ou disposition de l’esprit qui est délivré de toute préoccupation, de tout embarras16 ».
Hélas ! L’atmosphère commune se caractérise bien plus par cet air vicié des plafonds, des étages « supérieurs » insalubres. Les crânes, ces « cages », ces cellules aux « fenêtres » grillagées, obscurcies, voilées, sont comprimées, oppressées : ils rapetissent ! ils halètent ! Et pourtant, il y a quelque chose d’expectatif dans leur souffle qui s’épuise ; et pourtant soufflent dans ces esprit les tourbillons de l’immobilisme, de la dégénérescence, lesquels s’opposent au mouvement véritable et propagent cette ambiance figée, cette atmosphère de mort. Mais quand donc les vents nouveaux viendront-ils ?
Quand surgiront ces vents plus purs, plus hauts, plus frais, vivifiants ? — Ces bourrasques sublimes ! assainissantes, libératrices, salvatrices !
Culture, créativité et liberté régulée
Les individus qui sont responsables de l’évolution viable de la culture, les créateurs de culture, sont tels ces artistes capillaires. Le processus créatif génère des valeurs fraîches, une vaste et dense « chevelure » d’informations qui inéluctablement se développe, prospère. Et ces cheveux doivent être tantôt serrés en natte, tantôt flottant en liberté17. — Je veux dire que les gardiens des cultures naissantes sont les garants d’une beauté multiple, de l’expression inventive, puissante, libre mais aussi canalisée, viable, et cela par l’exercice d’un contrôle, d’une maîtrise externe des unités d’informations qui circulent et s’incorporent à l’ensemble des connaissances humaines. En ce sens, les « mèches » rebelles — lesquelles possèdent la propriété d’être communément considérées par la société comme des mèches folles — doivent être acceptées, encouragées mais aussi, et cela est essentiel, intégrées dans une perspective élevée, une vision plus vaste des conséquences plausibles, du futur, intégrées dans une conception harmonieuse qui s’imprègne de la notion de « bien » commun — ô combien instrumentalisée, sibylline, incertaine ! —, ou à tout le moins d’un désir de durabilité et de viabilité — une vision, une conception, plus « avertie », plus sage, plus juste.
Chevaux, dressage et esclavagisme « moderne »
L’évolution implique ces « révolutions », ces « réactions », lesquelles engendrent la « mise en liberté des corps et des esprits » qui fomente la réappropriation de ces « degrés de liberté » en pensée et en actions jusque-là négligés, accaparés, verrouillés.
À la place de cela, abondent ces chevaux dressés à évoluer sur des parcours artificiels, imposés, sclérosés.
Mais l’artiste véritable n’est pas même un sauteur en liberté : il représente bien plutôt ce type d’animal qui « n’est pas soumis à une ou des contrainte(s) externe(s)18 », un animal qui « n’appartient pas à un maître19 ». Il est ce cheval sauvage qui s’éduque lui-même, qui s’exprime dans ces « espaces », ces « domaines » dont il module et choisit lui-même les règles — il bâtit ses propres « clôtures », avec ses propres sabots : ses délimitations temporaires et nécessaires.
Le type de la « créature » inventive, de toute évidence, n’est pas représentatif de l’ensemble des « natures » constituant le paysage culturel actuel, du moins pour ce qui a trait à leurs modalités d’expression les plus courantes.
La multitude besogneuse, hébétée, pâle, comme frappée d’une foudre blafarde, se comporte tels ces troupeaux de chevaux de labour, de cirque, de concours. — La majeure partie de leur existence ne leur appartient pas : c’est le grand spectacle de la dépossession, animé par ces dresseurs sans vergogne.
En ce sens, ce phénomène caractérise une des formes les plus répandues de l’esclavagisme moderne évoqué précédemment : un développement ultérieur, une variante sociale tardive, « modernisée », du « labeur quotidien du serf ». — Laquelle est permise et pérennisée, en grande partie, par une prise de conscience et un soulèvement par trop malingres, timorées et tout bien considéré, par une pénurie de chevaux indignés, révoltés ! — dans une société qui voit ses rosses prospérer ! et ses mustangs désespérer !…
En dernière instance, jouir d’une existence libre ne revient-il pas à constamment s’inventer soi-même ? et tel cet artiste dont les mouvements du corps et de l’esprit évoluent avec aisance, « peindre » son existence avec une « grande liberté de trait », une « grande liberté de touche » ?
Et à l’égard des âmes qui se sentent privées, dépossédées de leurs libertés par des pressions externes, est-il nécessaire d’ajouter que, la plupart du temps, les principales menaces, les limitations majeures ont une origine interne, que même si certaines libertés peuvent être profondément entravées, il reste cette liberté irréductible qui est la leur, par essence : elle ne peut pas leur être totalement retirée, et ce, malgré les sensations, les sentiments, les pensées contraires — aussi tenaces soient-elles.
Il n’est probablement pas inutile de rappeler à ce sujet cette strophe de Paul Éluard20 :
« Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté »
Nous autres refusons de nous soumettre… et sommes prêts aussi ! — à nommer et à « nous nommer » !
- Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition disponible sur www.cnrtl.fr/definition/academie9/liberté.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
-
Gautier, Fracasse, 1863, p. 360, Dictionnaire Trésor de la langue française informatisé (TLFi), disponible sur
- Giono, Batailles ds mont.,1937, p. 81, TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
- Ibid.
- Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 286 (ibid.).
- Ibid.
- Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition, op. cit., « LIBERTÉ ».
- TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
- Ibid.
- Seth Godin, Tribus (Les Éditions Diateino, 2009, 2008), 45.
- Bernard Stiegler, L’emploi est mort, vive le travail ! [livre numérique], 2015, empl. 817.
- TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
- Ibid.
- Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 82 (ibid.).
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
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