Photo © iStockphoto.com / TarikVision
En vue d’obtenir une espèce de tranquillité de l’esprit, on sacrifie ordinairement son identité propre. Oui, c’est bien la peur de laisser paraître ses différences qui empêche l’individu de raconter une histoire authentique, son histoire, celle de sa vie, à lui-même et aux autres.
La simple pensée d’un nom aussi commun qu’extraordinaire (extra ordinarius) que le « soi » suffit à réveiller les angoisses les plus profondes, et les plus injustifiées ; elle hante les esprits, lesquels finissent par s’exiler peu à peu à l’intérieur d’eux-mêmes, cachés dans cette obscurité qui les abrite des regards importuns, de la lumière du jour toujours trop curieuse à leurs yeux.
Mais, à force de tâcher de vivre à l’écart du monde, ce sont leur inclinations, leur caractère, leur personnalité que, sans en avoir conscience, ils se mettent à fuir : ils s’exilent des deux mondes, ils demeurent dans l’entre-deux – étrangers à eux-mêmes et aux autres.
Quand dans son lit les âmes réveilleront-elles une partie de ce grand fleuve : ce bras de solitude qui emporte dans son impétuosité et son indifférence la relation à soi, la connaissance de soi, ce bras qui, subrepticement, insidieusement, – éloigne du rivage ?
« Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent1 ? » Quelles sont les paroles capables de leur faire entendre raison, capables, dans la noble patience et tout en attendant le retour complet d’un jugement sain, jusques à leur réveil, de préserver le droit sacré que possède tout individu à s’exprimer, à évoluer, à devenir ?
Et qui nous dit que ce réveil est même souhaité ? – Pour le leur faire découvrir, il faut des pensées prononcées sans doute, et des plus délicates…
-
Agamemnon dans Iphigénie. Jean Racine, Oeuvres Complètes [e-book] (Arvensa Éditions, 2013), empl. 6345.
Laisser un commentaire