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Je suis la pensée qui étiquète : abstractions, réalité, vérité, mots, je me pose sur vous !
Plantes, bouteilles, boîtes de produits alimentaires : je vous colle une étiquette.
Parallèlement, j’attache une étiquette supplémentaire sur un esprit — dès lors, le flacon peut être rangé sur une belle étagère.
Je poursuis mon oeuvre, je vais droit au but, je fais ce pour quoi je suis fait, je caractérise. Toi, tu es un manuel ; toi, une bonne salariée ; toi, un mathématicien ; toi, un bon à rien ; et toi, celle, celui qu’on ne daigne même pas mépriser.
Et je ne préserve aucune de mes « choses » ! — Tu seras un intellectuel, ta destinée est d’être classé, engoncé dans tes diplômes, dans tes fonctions, dans tes titres, dans les honneurs ; ou bien je t’étiquetterai, toujours selon mes envies et mes plaisirs, comme membre de tel parti, de telle école de pensée. Et essaye donc de te débarrasser de ma marque, de mon code à barres !
Ah ! et dire que toutes ces personnes n’hésitent pas le moins du monde à se proclamer les disciples de la Liberté ! — ma tâche s’interrompt car un rire inextinguible s’empare de moi !… Coucou, me revoilà ! Grâce au temps j’ai pu me reprendre, me remettre de mes éclats !… et je vais pouvoir poursuivre…
Cependant, cet état de fait ne devrait pas étonner puisque l’étiquetage est légal et obligatoire ! À ce sujet, il est dit que celui-ci n’est qu’« informatif », qu’il ne fait que renseigner l’individu sur la composition des choses. Mais alors, dans la situation actuelle, pourquoi l’individu semble le dernier à en être « informé » ? Pourquoi se soumet-il à l’influence et au diktat de l’Étiquette ? Car — comment le nier ? — les signes sont évidents, les preuves manifestes : il est la première dupe, celui qui est mis (ou qui se met !) en conserve, le dindon de la farce !
En effet, l’individu, en dépit de sa profonde méconnaissance de la nature de son âme — et dans le cas où ce n’est pas quelqu’un d’autre qui est autorisé à apposer sur lui la caractérisation (les spécifications préétablies, la dénomination sacrée) qui sera dès ce moment la sienne —, se dit ordinairement en soi-même : « Qui suis-je ? Je l’ignore. Mais il faut que je me rassure, que je me détermine pour de bon et définitivement, et cela même si je dois me perdre sous des monticules de désignations ; et je demanderai aux autres de procéder de la même façon et de me porter secours dans ma lourde tâche… »
Mais comment peut-on songer à étiqueter le « pluriel », le « vaste », l’infini ? Par quelle folie se laisse-t-on tenter à restreindre la vie, à la falsifier, à la corrompre, — à l’ensevelir sous des couches de superficialité et d’arbitraire ? Comment en est-on arrivé à consentir aux exigences et aux caprices de cette formidable obsession qui impose de tout séparer, de tout fragmenter, de tout disposer dans des cases minuscules tellement illusoires ? à vouloir appliquer sur tout les anneaux, les cercles rigides, les pensées parcellaires, les idées qui resserrent — à vouloir étiqueter l’existence même ?
Et la petite voix intérieure de poursuivre : « Je veux vivre mais je réclame que l’on me définisse, que l’on me communique mon identité, que l’on m’identifie : que l’on fixe sur mon crâne un petit écriteau indiquant ma valeur, mon origine et ma destination… Parce que je suis fait pour vous nommer, Peur, Conformisme, Erreur, Autorité, — et me soumettre. »…
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