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« La nature agit par progrès : itus et reditus. Elle passe et revient; puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc. La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours; elle a ses allées et venues1. »
Blaise PASCAL.
Le progrès présent traduit nécessairement une évolution favorable. Il illustre bien l’idée d’un amendement général de l’humanité, il en constitue la preuve. – N’avons-nous pas des gens qui croient à de telles absurdités ?
Pourtant, n’est-il pas manifeste que, dans sa forme actuelle, le progrès n’est ni plus ni moins qu’une idole supplémentaire à laquelle s’accroche de toutes ses forces la foule aveugle dont, parmi elle, un grand nombre d’individus dits cultivés évoluant chez les scientifiques, les écrivains, les artistes… ? Ne voit-on pas que cette entité, sous le masque de l’innocence, de la candeur, ricane d’un air mauvais, et que cette bouche ricanante laisse transparaître, pour qui pose sur sa réalité voilée un regard pénétrant, des crocs effroyables au milieu d’une immense gueule béante ? Ne pressent-on pas qu’en corrompant la notion même de progrès, cet Homme bête a réuni les conditions nécessaires à son déclin, et qu’il est sur le point de périr, dans un phénomène que l’on pourrait qualifier d’« accident grotesque et ironique de l’évolution », par la main d’un hasard malicieux profondément souillée et animée par la grande sottise ?
À chaque pas que le progrès humain fait, des graines, des pousses, des mondes émergents et des univers potentiels sont éradiqués, innombrables, – aussi est-il judicieux pour les horticulteurs géants d’être vigilants quant à la disposition de leurs pieds ! – Car ces derniers peuvent permettre à de magnifiques jardins luxuriants de prospérer, à une multitude de plantes, de fleurs, de fruits exotiques et variés de croître, à une beauté exotique de s’épanouir, ou bien favoriser une friche « popularisée », une crise totale, la stérilité des sols, la grande toxicité : la formidable pauvreté de la culture dans son fond et dans ses formes. – « À chaque pas que l’homme fait, il écrase des univers, empêche l’éclosion d’un peuple innombrable d’infiniment petits », écrivait Zola.
Il y a meutre, il y a aussi stupidité, lorsque la créature humaine méprise les générations présentes et futures, dès lors qu’elle crache au visage d’une expansion portant en elle une sève bouillonnante et des promesses grandioses, une expansion transportant et semant la vie, – une vie débordante de joie, de puissance, de richesse.
Et, il y a folie, il y a aussi lâcheté, quand les êtres oublient que les propriétés de leur pensée et la nature de son cheminement comptent, oublient que l’essence de leurs conceptions – de ces petits pieds mentaux – et la manière dont on les laisse gambader dans le grand jardin (interne et externe) sont « essentielles », en définitive, – quand les individus oublient que les pieds changent le monde…
Enfin, il ne faudrait surtout pas confondre, au sein de nos sociétés, les « progrès » de ces minuscules pattes – le progrès peut être défini comme suit : « Marche en avant, mouvement dans une direction définie2. » – s’agitant en tous sens, telles des possédées, ce progrès formel donc, avec le progrès réel, cette « transformation graduelle du moins bien au mieux3 ». Tous deux sont, certes, des transformations, mais le premier est aveugle, tandis que le second sait où aller ; celui-ci « possède » une direction, un sens, une finalité : il tend, de toute son âme, de tout son être, de toute sa force, – vers le mieux.
- Blaise Pascal, Pensées de Blaise Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, 1847, p. 315-316.
- André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e éd., 2010, p. 838.
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André Lalande, ibid, p. 839.
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