Les années passent et les hommes d’aujourd’hui ne s’en aperçoivent pas, car dans la grande agitation, leur conscience courant au travers de l’existence, ils croient aller avec une plus grande vitesse.
Toi, âme essoufflée, où cours-tu ainsi ?
À notre époque, ordinairement ce n’est pas l’enthousiasme qui portent les êtres. Ce n’est pas la joie qui soulève et anime les pieds, mais la peur, l’inconscience, l’inconsistance. On se figure voir des courses gaies ; il s’agit bien souvent de fuites. – Observateurs et acteurs se trompent sur la nature de la course.
Les consciences aveuglément courent à se perdre, dans ces forêts célèbres en chimères, en chutes et en malheurs.
Il serait probablement utile qu’elles « entendent » le grondement, la voix d’un tonnerre inouï, cette parole qui descendrait sur les oreilles innombrables en proclamant :
« Malheureuse, tu cours à ta ruine sûre et cruelle, irrésistible !
Âmes du monde, reprenez votre souffle : c’est assez couru !
Bulles insensées, chevaux continuellement sur le turf, ce n’est pas tout que de courir, il faut vivre de bonne heure !…
Pas d’ici et d’ailleurs, je vous regarde avec attention : vous ne vous promenez pas, vous ne dansez pas, – vous fuyez ! Vous qui partez si vite, ne craignez-vous donc point la chute du rideau ? »
La plupart des gens, allant et venant ça et là, ignorent l’art d’exister ; ils ne savent vivre que superficiellement : qu’en courant.
Au-dessus des têtes microscopiques, par-delà le globe, dans les hautes sphères, les dieux meurent de rire ; eux qui habituellement vaquent à des ouvrages d’art, ne peuvent s’empêcher, de temps à autre, d’observer ces existences humaines en se disant : « Tant de choses bonnes, diverses à goûter sur cette Terre, et tant de futilité, de vanité dans de si petites coquilles ! Comment est-ce possible ? Un tel ridicule ! un tel spectacle !… n’est-ce pas formidable ! »…
L’homme moderne, même avec ses télescopes, ne « sent » pas le lourd regard moqueur posé sur lui – sur ses jeux, sur ses combats, sur sa tragédie, sur sa comédie… –, mais là-haut, les grandes mains s’activent autour des microscopes célestes. – Sur la voûte bleue, les instruments sont déployés, et pour cause !
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