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Les voiles intérieures se déploient, elles suffisent. Des vents froids, indifférents, fous s’y engouffrent et transportent ; mais la volonté ardente est là, et presque lasse elle se repose, elle attend : elle attend que l’individu approche, la remarque, la dévoile, qu’il veuille bien la saisir, l’ingérer, qu’il aspire à son souffle – qu’il se résolve à exploiter sa chaleur, son flux, à suivre ses propres voies, à se rendre aussi assuré et puissant que la tempête… L’existence exige son vainqueur, son timonier, elle espère que dans un avenir singulier on veuille bien se jeter.
Quelque obstacle que l’esprit vrai ait à traverser, animé par la liberté, il va, court, vole. Sur le péril, il s’évertue à glisser, à faire parler l’art de la navigation. Il ressent la destination, il entrevoit le chemin ; et, certain en sa force, soutenu par les fiers mâts de ses vérités, il ne daigne point envisager l’alternative. De cette liberté et de cette vérité, il s’est fait un devoir de préserver les droits.
Comment en est-il arrivé là ? – Voici ce qu’on raconte.
À toutes ces embûches dissimulées, à toutes ces voix qui ne respiraient que pour l’absorber, à tous les soupirs, à tous ces conseils qui voulaient sucer son essence, l’inhaler, l’esprit libre, soudainement révélé à lui-même, sa colère enflant son courage leur répondit ceci :
« C’en est assez ! Si de davantage de peines vous brûlez de m’accabler, veuillez donc continuer ! Mais dans ce cas, sachez, chers amis, qu’avec célérité, je me ferai un plaisir de vous laisser. Car aveugles sur votre destinée, c’est, moi, que vous venez ainsi éclairer ? À l’avenir, si vous souhaitez sur ma barque pénétrer, avant que de monter à bord, vos fariboles, à son seuil, vous les déposerez. Le reste me concerne, et, seul, souffrez que j’y songe. »
Sur ces paroles, indigné, révolté, le vaisseau lumineux s’approchant de l’horizon rieur s’éloigna du monde, et personne n’en entendant plus parler durant des décennies, il fut décidé qu’il serait considéré comme noyé.
Mais un jour, revenant vers les hommes, pénétrant l’obscurité, transperçant les songes… ainsi s’exprima dans son retour le navire illuminé :
« Rejoignez le large ! Rencontrez vos contrées dépeuplées ! Partez embarcations, partez ; ou plutôt, sans frémir, regagnez votre maison, qui vous voyant au loin vous apprêter à venir, à son tour s’apprête à vous accueillir !
Petites âmes, de votre courage, de vos forces ne doutez pas. Comment ? Il vous semble que déjà votre assurance perd pied, qu’elle se dilue, qu’elle se défile ? Se peut-il que vous croyiez aux ondes vos pieds insensibles ? que vous pensiez aux aléas votre détermination tout à fait hermétique ? que vous vous figuriez l’âme haute avec des cloisons parfaitement étanches ? Mais cette noble altitude, de mémoire d’homme avait-on vu une créature l’atteindre ?
Nul n’a de son sort une complète perception : cela est l’évidence. Pour autant dans vos vies devez-vous évoluer seulement en observateurs fixés, en consciences figées ? N’est-il pas permis, et même souhaitable d’y aller plus avant, d’y forcer le destin à vous ôter le joug, d’y prendre le mors aux dents ? Votre navire ne doit-il pas naviguer en pleine mer en recouvrant et son identité et sa puissance : en exaltant votre sève, en éprouvant votre sang ?
Déjà ne distinguez-vous pas, enfantée par l’horizon, cette terre nouvelle qui émerge des flots ? Ne sentez-vous pas le ciel et les vagues vous tendant leur main, oeuvrant pour tout emmener, s’échinant à vous y conduire ? Les larges sillons s’ouvrent devant vos pieds trempés : à la vue de tant de persévérance, en présence de leur ami, l’Air, l’Eau, l’Espace, le Temps… tout facilite le passage et invite l’étranger ! – Votre conscience s’écarte-t-elle elle aussi, et tous ces phénomènes pénètrent-ils en son champ ?
La grandeur de la sincérité, les honneurs dus à l’authenticité, la valable destinée appelle les âmes qui, dans le désordre savent et osent voguer. Car – l’ignoriez-vous ? – le futur aide les natures préparées à s’échapper de la cellule ; il comble de faveurs l’être prêt à sombrer, à jaillir – à supporter, à se réjouir : le coeur qui se dresse, le digne mât qui pointe vers l’empyrée… la créature disposée à combattre, à jouir… La créature faisant le choix d’exister… »
À ces paroles, dérangées dans leur sommeil, éblouies par les éclairs, le soleil, l’indicible clarté, d’innombrables âmes sursautèrent. Mais, plus tard, à leur « réveil », peu d’entre elles comprirent ce qui s’était réellement passé.
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