Voilà l’être sans âge qui de nouveau apparaît. Il vient du fond des siècles, des lointaines mers ; le regard hissé bien haut, il se moque de l’indifférence des peuples, brave sur leur propre territoire la puissance des millénaires — défie la flèche du temps en combat singulier. Qu’on l’observe, qu’on l’admire, qu’on l’acclame ! le poète ! l’homme puisant dans sa connaissance du monde ses couleurs irréelles, ses configurations géométriques régulières, ses indicibles vérités — cet ensemble qui, mêlé à la parfaite maîtrise du verbe, constitue graduellement son crayon, sa palette, son pinceau… le matériel d’un peintre se rendant gaiement, à toute heure, en tout lieu, à son atelier. Qu’on honore le sage-enfant ! qui, tel le nourrisson saisissant dans la ténacité le sein de sa mère, n’aspire à rien, rien qu’à boire le réel, à savourer la sève et à alimenter la vie. Oui, brûlez l’encens, brûlez ! Brûlez car c’est à cet être étrange que la tâche a été confiée : celle de sentir, ainsi que le peintre de talent, ce qu’il doit rendre ; ce qui crie pour être exprimé en dehors de soi et en soi-même — les motifs exquis de la nature si silencieuse et si hurlante. Afin que dans le futur, c’est-à-dire à présent, cette mission délicate, périlleuse, inhumaine se pût convenablement faire, certaines conditions sans nul doute furent nécessaires : l’artiste de nature devait déjà posséder le sens des nuances, du beau, du réel ; il fallut qu’il désirât la vérité, la recherchât ardemment, la révélât quoi qu’il en coûte ; son cœur enfin n’avait le choix, celui-ci dût abriter la faculté d’apprécier d’une manière intuitive et immédiate les choses « ordinaires » qui l’entouraient, de porter en soi une manière de sens inné des phénomènes… de galoper en pleine sérénité sur ce rayon secret, qui relie tout sujet sentant aux objets infimes, lui permettant d’éprouver et de vibrer près des événements, lui autorisant l’expérience de ces choses en leur rythmique la plus intime. — Ah ! qu’il est heureux que l’essence de cet homme soit ainsi faite ! Tout bien considéré, le pinceau et la lyre résident en des situations presque identiques. Car au milieu des fragments, des masses, des contours… au sein de la multitudes de tons, de senteurs, de saveurs… devant tant d’éléments inconnus, enivrants… dans une sorte d’obscurité, en un fonds d’une richesse inouïe, tous deux tâtonnent en vue de perceptions inédites, d’impressions d’une fraîcheur continuellement renouvelée, de prodigieuses variétés — en quête d’improbables puretés, de trésors cachés, de réalités dépouillées de leur saleté. — Car c’est tenir et l’infini, et le particulier, rassembler dans la paume de leur main et l’éphémère et l’éternel, c’est dans la voie du sens esthétique que leur favorable personnalité entend sans relâche s’immerger. C’est dans l’oeuvre d’art, que leur âme nourrie d’un feu inextinguible, hier, aujourd’hui et à l’avenir à faim et soif de se déverser…
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