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L’humain est cette matière pensante qui, marchant au travers de l’existence, ou bien à travers elle, fait l’expérience, à un moment ou à un autre de la chose absurde. Ses pas ne peuvent éviter cette déformation du tissu de l’existence, cette grande dépression, cette gravité parfois véritablement grave, et le voilà qui se met à tomber dans l’absurde. S’il n’est pas vigilant, s’il n’a pas appris à tomber au préalable, la chute peut être brutale, parfois cruelle. Au sein des replis escarpés du Temps, au milieu d’un sentiment ayant parfois la profondeur de l’abîme, il érige, pierre après pierre, tantôt son plus bel édifice, tantôt ses plus sinistres ruines : il se construit avec des mains imprévisibles – parfois vaillantes et sûres, parfois temblantes et incertaines – dans l’entre-deux, hésitant, oscillant entre le premier souffle et le dernier, entre la vie et son ombre, entre la plus belle construction et la plus sombre tombe : il est cette flamme flottant un peu partout au gré du vent, au gré des attractions et des répulsions, au gré des saisons…
Il y a dans ces vies tant de considérations, tant de théories, d’êtres, de choses, de songes surprenants, presque impossibles, qui paraissent absurdes. Telle est la sensation où elle croît que la créature douée de raison peut légitimement se figurer une sorte de vaste rêve : des fantasmagories, une atmosphère irréelle au milieu de laquelle son existence évolue, – une illusion dont la texture, la structure et les lois sont chatoyantes, changeantes, inintelligibles. – Elle s’imagine elle-même à l’intérieur de l’esprit d’un penseur abscons, voire insensé, incluse dans la « sphère » d’un géant qui, comme sous l’empire des stupéfiants, éprouve, de manière cyclique, le paradis et l’enfer.
Et même l’âme la plus sage ne peut refuser l’inhalation de cet air étrange, de ce mélange gazeux, – de ce fluide en mouvement ambiant et fou.
Toutefois, au milieu de tout cela, parmi toutes ces circonstances aussi ordinaires qu’extraordinaires, l’individu le plus absurde reste celui qui, posant que la vie est inconséquente, en déduit qu’elle n’a ni saveur, ni valeur : l’observation est juste et la conclusion fausse. – Ah ! combien il est salvateur de s’en rendre compte dès lors qu’on fréquente une pareille absurdité !
Apprécier l’incohérence du monde est un art, et il est indispensable de savoir le goûter ! Autrement dit, il faut pouvoir apprécier l’impossible, pouvoir danser avec lui et pouvoir rire de lui et avec lui. D’autre part, à chaque fois que son regard devient trop lourd à supporter, chaque conscience doit être en mesure d’affronter sa lumière crue et d’ouvrir sur ses rayons les yeux de l’indifférence.
Car ce n’est qu’en possédant cet art, qu’en éduquant l’oeil de son esprit, en somme, en apprenant à voir et à ne pas voir : en apprenant à vivre, que l’Homme se rend capable de ne plus se perdre dans le titanesque labyrinthe désorienté, dans ce dédale dépourvu de panneaux visibles, de directions et de sens clairs et distincts, dans ce système d’une richesse inouïe en contradictions, d’une nature courbe, ambivalente, plurielle, emmêlée, dans cet ensemble, ce jardin infini, – complexe et prodigieux à ce point qu’il ne peut ou ne devrait pas avoir l’être, – abritant par nature toutes ses parties et qui est un.
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