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Il n’est pas autorisé de laisser l’écoulement de ses eaux se répandre chez son voisin.
Et pourtant quel spectacle que ces égouts qui s’échappent des « toits » et envahissent les canaux, les vaisseaux et les coeurs des villes !
Il est vrai que notre société est prodigue de son « bien » : elle aime son prochain et le comble ô combien ! — Courant vers d’autres réceptacles humains, d’autres bassins de chair, les chutes dégoûtantes continuent de jaillir, de dégouliner et d’étaler leurs imposantes nappes usées et méphitiques. De tout cela découlent des consciences comblées et émaciées, des âmes remplies de plaintes, débordantes de souffrance, de faiblesse, d’inanité, des êtres submergés par les pensées désagréables, par la dépression, la confusion, le chaos.
À la place de ces jardins luxuriants peuplés de fontaines et de lacs à l’eau claire et scintillante, se déploie un spectacle inouï : des étendues troubles et « superficielles », souillées, dénaturées, — à perte de vue. Les surfaces fétides du conformisme et de la médiocrité s’étirent et prospèrent ; elles deviennent ce fleuve avalant continuellement les individualités, ce monstre animé sans cesse par une énergie et une volonté prodigieuses, un monstre inépuisable et colossal à ce point qu’il semble surnaturel ; une force de la nature sombre accaparant toujours plus les champs, les mentalités, — les espaces physiques et mentaux.
Dans ces circonstances presque irréelles, les individus sont surpris. Il est des géants aussi pernicieux que silencieux, des flots qui détournent le cours naturel, le cheminement spontané des petites barques existentielles, des eaux qui, au sein de cette insconscience commune et de ce silence morbide, mettent en oeuvre leur funeste dessein, qui, au plus profond des âmes, ont raison du contenant, et expriment leur nature, libèrent leurs forces destructrices, — engendrent la chute…
Par ailleurs, qu’importent toute cette déplorable bassesse du monde et tous ces poissons des creux, ces poissons asphyxiés, percés, fêlés, se vidant de leur essence, fuyant goutte à goutte, ces êtres qui s’égouttent sur le fond de l’abîme ? Qu’importent à ces oiseaux des hauteurs, à ces esprits perchés au-dessus des marécages cette végétation décadente et cette vase immonde ? Quelle place peut bien avoir tout cela dans la conscience de ces créatures ailées, ces créatures qui, ne supportant plus les mauvaises odeurs des bas-fonds, et subissant le grand dégoût, se trouvent devant l’alternative de s’embourber et de se noyer ou de le surmonter et de s’élever ?
À la vérité, les albatros planent dans les ailleurs, mais répandent eux aussi leur liquide. — Là-haut, ils sécrètent tantôt des larmes esseulées et chagrines, tantôt des torrents impétueux et joyeux.
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