1. La matraque de Perelman.
Les obstacles s’opposant à l’avenir des hommes n’arrêtent de s’enfler. Certes nous voyons, ici et là, de petites volontés qui tentent de réfléchir honnêtement, de croiser le fer avec les questions, les difficultés, les problèmes sans nombre, mais il manque cruellement d’engins de compactage systémiques, d’intellects en pleine possession de leurs moyens en mesure de condenser par compression les objets indésirables de la culture. En effet, se trouvera-t-il quelqu’un pour contester l’effroyable carence en “matraque de Perelman” : en « énorme[s] massue[s] qui rest[ent] immobile[s] avant de porter un unique coup fatal1 » (Masha Gessen) ? Donc : évidemment on essaye chaque jour de faire la chasse aux nuisibles passants ! — cependant combien les coups sont étonnants, dérisoires, ridicules ! Combien ces monstres, par nous-mêmes enfantés, rient bruyamment lorsqu’ils voient la mollesse de nos bras, le vacillement de nos pieds, le grotesque de nos armes tous ensemble arriver !
2. Le but de la culture.
Que serait le monde sans Léonard de Vinci, Newton, Einstein… ? Ce n’est qu’à travers cette question que nous pouvons pleinement saisir l’idée selon laquelle le but de la culture est l’avènement du génie : qu‘en considérant le fait que les plus grandes créations humaines sont issues de l’imagination d’une infime fraction de notre espèce.
3. Le Professeur.
D’innumérables élèves, jeunes et moins jeunes, s’entassaient depuis longtemps autour de celui que l’on surnommait « le Professeur », quand soudain la voix s’éleva : « Comment ? Cette chose n’est pas la plus importante à tes yeux ? Ne mérite-t-elle pas l’essentiel de ton libre temps ? Ne réclame-t-elle pas toutes tes émotions, tes sentiments, l’ensemble de tes forces ? Mais, alors, n’est-il pas tout à fait insensé que tu veuilles gravir, et avec célérité, ces degrés infinis menant de l’état d’apprenti à celui de maître ? Est-il possible d’être si naïf : de s’imaginer que l’art dévoile ses mystères aux plus indifférents ? N’est-ce point la folie même que de n’avoir ni objectif ni passion et de se souhaiter, tout de même, les plus hautes réalisations ? Allons, mes chers visages, mes chers sourires, mes chers enfants !… un peu de grandeur, un peu de raison — un peu de sérieux ! »
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Masha Gessen, Dans la tête d’un génie (Paris, Globe, 2013, 2009), 35. Il s’agit, ici, de Grigori Perelman, mathématicien qui publia la démonstration de la conjecture de Poincaré.
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