1. La liberté guidant le peuple.
Ce n’est pas ta dignité que je désire toucher, ton âme que je souhaite abaisser, mais tes grandes et belles idées, tes convictions, tes représentations, tes illusions. Et tu te sens personnellement attaqué ?! Ô répression ! ô choc des civilisation ! ô déclin mugissant ! Ô liberté d’expression ! où t’en vas-tu courir en ces temps incertains, en cette époque d’hallucination, de démence ? Les esprits sont enfermés dans des cellules, parce qu’ils sapent — on y croit — la cohésion de l’ensemble, mettent, répète-t-on, « en péril le bien commun ». Mais celui-ci possède-t-il réellement ce visage ? Le pense-t-on sérieusement ? L’a-t-on jamais véritablement reconnu ? En souhaitant tout protéger, les peuples construisent des lois qui les compriment peu à peu, jusqu’à la suffocation. Le péril s’allonge, tout menace, et, dans le sein même des sociétés il se prépare à frapper : en plein cœur, en pleine crise. Il est un malaise enflant, un malaise qui, suivant A. Colosimo, « étrangle la laïcité1 ». La peur — toujours elle —, sous l’effet de l’intimidation croissante, dans l’inconscient — ou bien utilisée consciemment et sournoisement — ne cesse de grossir, des vents nouveaux et malsains soufflent dans ses pauvres voiles. — Les hommes ont toujours essayer, pour saisir la réalité des choses, de se raconter des histoires. Toutefois, comment l’humanité pourrait-elle poursuivre son étonnant récit, si, à peine sortis de sa bouche les mots sont arrêtés et emprisonnés ? La crise de la liberté d’expression est une crise planétaire : encore une fois, la « crise de l’esprit » (P. Valery) vient hanter le présent des nations ainsi que leur avenir qui se dessine, avenir déjà bien assombri. Quoi ! Dans un tel contexte on ne trouve pas davantage de consciences s’enquérant du terme « Liberté » de la devise de la République française ! se rendant compte à quel point cet idéal de liberté persiste dans son éloignement des rivages, des pays, du réel ! Assurément, les lois façonnent les cultures, les sociétés ; cependant comme pour la plupart des entités essentielles, on les forment sans réfléchir, dans la précipitation. Le blasphêmia2 abrite en lui, vraisemblablement, toutes sortes de choses, moins bonnes, mais aussi bonnes ; pour autant, souhaite-on vraiment le condamner tout à fait : perdre ce droit ? Comment, n’est-il pas envisageable qu’il soit perçu comme une substance dangereuse, mais combien essentielle ? Le futur sera donc bâti dès aujourd’hui à l’aide de pierres autres : oeuvrera-t-on à la persistance des démocraties d’apparences ? A-t-on oublié Eugène Delacroix, le souvenir s’est-il perdu en chemin, emportant avec lui l’image de « La Liberté guidant le peuple3 » ? Ah ! à peine plus d’un siècle a suffit pour que déjà dans les esprits le beau drapeau s’éloigne, la forme floue s’estompe : une toile se déchire, un arbre soit calciné, une fumée s’échappe. — Une flamme purifiante penseront d’aucuns. — Et des primes — colossales — sont offertes à tous ceux qui voudront danser autour d’elle.
2. Justice retardée.
On t’a offensé ? Résiste ! Permets à ton crachat, en se mêlant à et un temps supplémentaire et une encre bien noire, de lentement mûrir, de patiemment s’embellir — puis avec force de jaillir !
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Anastasia Colosimo, Les bûchers de la liberté [e-book] (Éditions Stock, 2016), empl. 23.
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Du grec, « médisance, calomnie » (Ac. 1992).
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Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830). Musée du Louvre, disponible sur
www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-28-juillet-la-liberte-guidant-le-peuple.
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