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Une dépravation inouïe du goût se répand dans nos cultures mais on en doute encore. Comment ? Ne voyez-vous donc pas toute la basse cuisine de ce monde avec ses senteurs et ses saveurs écoeurantes ? cette cuisine qui méprise la grandeur, la dignité ; qui foule aux pied, qui crache sur les valeurs les plus nobles ? Et ces foules n’ont-elles pas faim de distinction, d’élégance ? n’ont-elles pas soif de délicatesse, de raffinement dans les jugements, dans les appréciations du goût ? Par quel phénomène étrange se satisfont-elles encore de la médiocrité? Comment se fait-il qu’elles ne réclament pas des aliments moins vulgaires, moins dépravés ? des ingrédients, des plats dont l’allure et la hauteur les feraient planer au-dessus de la bassesse, qui éviteraient à leur estomac toutes ces convulsions morbides, lui offriraient le grand soulèvement, l’altière et dernière nausée, l’allègement libérateur ? Las ! dans notre société mal nourrie prospère ordinairement des esprits pas bien grands, mais bien ronds et mal dégrossis. Que s’est-il passé ? — Le mauvais goût s’est mêlé aux consciences comme la puanteur aux égouts et, ce faisant, il a corrompu le nez ; il s’est engouffré dans les cerveaux et dispense désormais ses vents décadents. Et cet état pathologique, cette dépravation des esprits est considéré comme normal ! Il arrive même qu’on la prenne pour la belle santé ! Par une formidable tournure des choses, un phénomène singulier transparaît : les papilles mentales étant anesthésiées et s’atrophiant, toute cette graisse psychique dégoulinante n’écoeure plus ! Je dirai même que l’on s’en accommode aisément ! très volontiers ! En voici, en voilà ! on en réclame toujours davantage ! on apprécie la substance ! — Est-il preuve plus manifeste de la prodigieuse dégradation des sens ? de la stupéfiante décadence de l’odorat et du goût ? Et que penser d’un esprit dont l’appétit s’accroît à mesure que la substance s’altère ? qui ne se sent bien que quand il évolue dans une atmosphère fétide ? qui les recherche même et les considère comme son élément ?… — Quand certaines conditions extrêmes sont réunies, c’est l’organe lui-même qui se gâte… Dans ces conditions, c’est un assainissement des canalisations qui est nécessaire, c’est une rééducation et une réhabilitation du « palais » qui sont requises : je veux dire une nouvelle manière de sentir et de goûter — une nouvelle manière de se sentir, de savourer la vie, de la ressentir…
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