1. La clepsydre de la langue.
Que cette langue parle-t-elle autant alors qu’il n’est point d’oreilles l’écoutant ? Eh bien, simplement parce que cet esprit se dit, à part lui : en me connaissant davantage, je périrai moins seul — parce qu’il se trouve cette idée qui l’excède, celle de rejoindre l’ultime océan sans s’être jamais connu ! En effet, il n’accepte de suivre les pentes de l’abîme qu’à la condition de disposer d’un recul suffisant pour apprécier le tableau ; il cherche à analyser ses expériences en perspective, même s’il est bien conscient que dans la dernière chute ce recul disparaît à l’intérieur des trous obscurs et définitifs de l’espace et du temps. Il tente, avec ses propres moyens, de remplir les vides gouttes des secondes, de mettre du soi dans cette vie qui peu à peu s’assèche. — Il désire humidifier son existence par la salive de son essence.
2. Incompréhension.
Tu t’imagines connaître tous les détails de ma maison, mais tu ne fais que croire. Tes yeux ne me voient pas, ils me donnent une forme, ils inventent. Ton âme ne me sent pas, elle devine un autre. — Si proches et si étrangers peuvent être le destin de deux êtres, lesquels sont comme faits pour habiter, non pas le réel, mais le monde des représentations. Et ils conçoivent autrement leur existence (!) : ils se figurent avec leurs sens être en mesure de la distinguer, de la saisir, de l’appréhender, ma réalité ! Ô immense incompréhension ! ô cruelle méprise ! ô malicieuse rêverie !
3. Le dernier jour d’un exilé.
Pourquoi faut-il que cette âme affamée de liens intimes, d’infini soit contrainte à l’éloignement. Est-il donc vrai qu’autrui lui sera toujours inaccessible, par trop étrange, excessivement incompréhensible ? Et ces autres, envisagent-ils que leur allure, leur posture, leur nature baigne dans le dernier degré de l’inconstance, de l’inconsistance, du déraisonnable — de l’absurde ? Ah ! le sort est-il vraiment de cette manière-là qui porte l’infortunée à revivre chaque jour le dernier jour d’une exilée ? Pourtant elle avait accueilli autrefois l’espoir de rencontrer le doux réconfort, la pure entente. Aujourd’hui, ce n’est pas que celui-ci l’ait totalement quittée, mais combien il se cogne perpétuellement la tête contre l’épineuse réalité !
4. Du labeur invisible.
« Oh ! que tes visites sont rares ! » — Oh ! Oh ! s’ils savaient le temps qui m’est indispensable en vue de complètement récupérer !
5. Où porterai-je mes pas ?
« Où porterai-je mes pas ? » se demandent-ils fréquemment. Il leur suffit pourtant d’être sensibles aux conditions atmosphériques intérieures — à leurs inclinations ! Il leur suffit de songer que tout comme le doux soleil engage à la promenade certaines forces internes et naturelles poussent à telles voies, tels environnements, telles destinations.
6. Transfiguration de l’hideux.
Il arrive que je me réveille dans un état déroutant, un état qui pourrait être celui d’un patient touché par une étrange démence dans le dernier stade de l’évolution d’une maladie, tout mon être luttant contre l’expression d’une folie furieuse. Alors, saisissant les touches je me mets à cracher mon feu, à vomir la haine, à lâcher les fauves de l’extrême violence. Ce faisant, en emprisonnant les démons dans les mots, mon organisme surpasse de temps à autre ces entités insensées, et, phénomène davantage extraordinaire, parvient, fort rarement, à les rendre moins hideux qu’ils ne l’étaient.
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