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Pourquoi s’intéresser à l’intelligence ?
Parce que dans un monde rempli d’intrications, dans des sociétés humaines qui se complexifient, est-il chose plus naturelle, si l’on souhaite le comprendre et interagir finement et d’une manière authentique avec lui, que de disséquer les capacités les plus sophistiquées du cerveau humain ? Et quoi de plus légitime que de chercher à connaître le développement d’individus aux caractéristiques les plus diverses afin de favoriser, de stimuler des activités et des fonctions, des chemins de vie, qui soient les plus adaptés et les plus favorables à l’épanouissement des autres et de soi-même ?
Le problème, c’est que l’on se trompe généralement dès le départ : on parle d’intelligence là où il y a des intelligences1.
On ignore ordinairement le profil intellectuel des enfants, lesquels, fréquemment, évolueront à l’école – en traînant les pieds – dans des programmes éducatifs trop souvent inadaptés, et, plus tard, dans la société, dans leur vie, en méconnaissant les domaines vers lesquels ils penchent spontanément, les domaines qui, pour eux, sont les plus prometteurs.
Il est un fait : les contraintes génétiques et la plasticité gouvernent la transformation des hommes. Et il est heureux, car sans cela, comment pourrions-nous, moi, me tenir devant mon ordinateur et écrire ces lignes, et vous, les lire en face du vôtre : autrement, comment l’espèce serait-elle en mesure de survivre ?
Grâce à cela, les inclinations émergent. Et il semble que, jusqu’ici, tout aille relativement bien. Mais, rapidement, un gâchis monstrueux apparaît parce qu’on s’évertue à ne pas les prendre en compte. Car elles portent en elles une multitude de potentialités, de possibilités, de promesses. – Elles promettent, à ceux et celles qui daignent les entendre, une existence plus riche, plus profonde, plus intense.
« L’éducation, écrit Howard Gardner, doit être fondée sur la connaissance de ces tendances intellectuelles et leurs points de flexibilité et d’adaptivité maximaux2. » Oui, et faut-il préciser que cette « éducation » ne doit pas concerner seulement nos écoliers, mais bien chaque être humain conscient et désireux d’exploiter l’ensemble de ses ressources pour lui-même et pour le groupe : chaque individu souhaitant autoriser l’expression de sa biologie, de sa physiologie, de sa nature, – l’expression de son développement à la fois « normal » et « atypique » ?
Il y a tant de capacités à laisser fleurir, de champs à explorer, de défis à relever, de joies à goûter ; mais, sans la connaissance de soi, de ses forces et de ses faiblesses, sans la prise de conscience de son « paysage cognitif » – avec ses cimes et ses vallées, ses plaines et ses cavités –, de son essence, de son inépuisable variété, comment, dans cette existence, les êtres font-ils pour envisager un instant de pouvoir s’y plonger d’une manière pleinement satisfaisante ?
La question pratique posée à toute personne n’est pas de savoir si la programmation, le déterminisme l’emporte sur la plasticité, la flexibilité, mais plutôt si elle peut, en ayant une vision claire de ses fondements biologiques, se manifester d’une manière singulière et optimale ainsi que d’une façon viable, durable et épanouissante, à l’intérieur d’elle-même et au milieu d’autrui.
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Cf. Howard Gardner, Les Formes de l’intelligence (Paris, Odile Jacob, 2010, 1983), 18.
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Ibid., p. 42.
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