Quelquefois, il lui souvient d’abriter des matériaux exquis, des flux endormis, des énergies latentes ; il le sait, il le sent ; ils sont là, dissimulés, se reposant en son sein. C’est que ces phénomènes inouïs ne tolèrent pas si aisément qu’on les approche ; que la délicatesse et la grande pureté forment nécessairement la pudeur distinguée ; c’est là, dans le silence et à l’écart, que les entités pures prétendent évoluer. Pourtant, toutes ces formes de vie cachées, si elles ne sont pas déposées dans la clarté du jour, risquent fort de le payer cher, de faiblir et, telles des fleurs ayant absorbé un excès d’ombre et de fumées létales, de se flétrir pour jamais. Car certes leur âme recèle mille formes, cependant elles ne sauraient supporter dans la durée celle de l’oubli. L’aisance, la spontanéité, l’agréable zéphyr, l’ineffable liberté sont empreints sur ce visage protéiforme ; celui-ci possède un fonds de probité, un profond puits de vigueur qui, au fond, n’aspire qu’à la pleine expression, à vibrer, à se réjouir, à jouir de soi ; il éprouve en lui le souffle ; il désire donner la vie, et danser au milieu de ses enfants. Ici, nous entendons l’interrogation lancinante se cogner la tête contre le chambranle de notre porte : « Qu’est-ce donc que cette étrange existence sans ces sensations, ces sentiments, cette capacité de ressentir tout ceci, et sans la volonté de le révéler ? » Quand nous connaissons par expérience de telles forces, de telles promesses, de telles femmes et de tels hommes ; quand nous voyons qu’ils se remuent pour tellement peu et ne laissent pas de gémir dans leur caverne, de lustrer leurs chaînes, de se courber devant les conventions, les hiérarchies, les vaines récompenses, et que leurs actes ne constituent rien moins que des coups de pioche et de pelle enterrant les années les plus belles et les plus prometteuses de leur tellement courte existence ; que cette joie et cette assurance superficielle ne sont qu’un éclat si trompeur, si fatal ; cet état des choses, immanquablement, s’entend parfaitement à nous affliger. — Que les adultes nous semblent d’éternels gamins, leurs certitudes grotesques, leurs désirs habituellement vils, leurs plaisirs encore davantage et leurs buts atrocement méprisables ! Et quelle carrière pour la politique de la carotte et du bâton ! Las ! que peu de gens nous en croient ! « Heureux les pauvres d’esprit, ceux qui ne s’embêtent point à saisir le monde, qui abandonnent leur lamentable échine aux coups de fouet, qui tirent la langue et poursuivent leur route inlassablement ; heureux ceux qui iront visiter un jour le royaume inexistant », devrions-nous être tentés de penser. Mais nous nous reprenons : « Ah ! comme une belle averse ferait grand bien aux cultures ! Une averse de grêle, de prise de conscience, de réveil ! » La réponse à cela pourrait encore être : « Il ont pris leur parti, que cela leur soit profitable ! » Mais, aussitôt ces paroles en tête, nous ne savons nous empêcher de saisir notre plume, d’élever nos plaintes, de souffrir dans la compassion ; et bientôt nous nous endormons de chagrin, car il est déjà tard ; alors il nous semble que tout ceci ne peut être qu’un mauvais songe, et la réalité commence à trembler, à devant nos yeux se troubler, et nous nous mettons à rire… Dans la gaieté sincère, dans la douceur d’une certaine gentillesse nous nous moquons de nous-même, et nous nous réconfortons : « Tu t’es bien abusé, tout à fait égaré : Égaye-toi désormais, tournoie, valse pour jamais — trinque enfin à la santé de ton illustre société ! »…
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