1
Guérison d’une fausse croyance. — Je ne souhaite pas qu’un malheur me tombe sur la tête, je dois donc emprunter ces voies spécifiques : le motif. Il ne faut, à cette fin, sous aucun prétexte, que je m’éloigne de ces chemins tracés ; les lignes droites, phosphorescentes sont mes bouées, mes glissières de sécurité, mes plus valables boucliers : le mythe. Ma croyance se fortifie de jour en jour, la chimère m’entoure de ses puissantes serres ; peu à peu je perds pied, je perds terre ; dans une forme de démence sous-évaluée, ô combien ! certainement, je sombre ; à mon insu c’est le plus effroyable des malheurs que, sur ma tête j’ai invité à se poser : la réalité. — L’ami charitable est ce thérapeute qui, muni de la plus grande persévérance, est là pour confronter l’esprit perdu et les faits, pour l’emmener vers le réel, vers la vérité, laquelle diffère fondamentalement à ce moment précis de celle de la victime. Lorsque celle-ci se rend compte de l’importance du décalage, elle comprend alors l’incohérence. Cette compréhension nouvelle permet la venue du doute et encourage la réflexion salvatrice, l’introspection, l’attitude de remise en cause des convictions ancrées : le « long travail de rétro-analyse de ses doutes1 » (Dounia Bouzar, anthropologue). — Certains systèmes de pensée asservissent les volontés à la certitude toute-puissante. Mais cette entité n’est qu’un leurre ; sa force n’est considérable que parce que justement, on l’alimente d’une manière constante, que parce qu’on la veut ainsi ! Et voici la vérité ! Là où le doute meurt, la déraison s’installe, la proie s’expose, la folie persiste. — Perdrix rouges, ayez donc foi ! En vous-mêmes ! Dans votre raison !
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Cf. Dounia Bouzar, « La science de la manipulation », La Recherche, avril 2016.
2
Constructions nouvelles. — Les mains agitées s’emploient à rénover certaines constructions mentales. On tente de soutenir telle partie abîmée, de repeindre telle autre, de remplacer à certains endroits des éléments par des matériaux neufs. Ne sait-on pas qu’il est des édifices ayant par trop durer — abritant désormais dans leur propre nature des plaies, des vices inguérissables, dans leurs gènes des expressions futures non profitables —, des structures qui, afin de se transformer, de s’améliorer, d’évoluer vers une configuration et une composition meilleures, tant du point de vue de leur forme que de leur fond donc, vers des habitations royales, viriles, des châteaux éthérés, ne réclament qu’une seule chose : la démolition totale, le dépérissement, la décadence, la chute — la ruine ?
3
Involution. — À l’intérieur de ce grand marché généralisé, où l’homme fait commerce de tout, les nobles valeurs sont sacrifiées, telles des marchandises de rebut. Par et en ses transactions, ses « échanges » insensés, l’humain liquide ce qu’il possède de meilleur. — Une auscultation révèle la présence du signe pathognomonique à la décadence, au déclin. En effet, existe-t-il signe plus clair d’une dégradation, d’une humanité qui entre des précipices marche sur la tête, que cette inversion des valeurs, que cette situation dans laquelle les sociétés foulent aux pieds tout ce qui devrait pourtant leur tenir le plus à cœur et leur importer, tout ce qu’il y a de plus sacré ? Existe-t-il plus vive illustration, selon les classifications d’un psychiatre cosmique, d’une parfaite régression des nations dans leur cheminement, leur développement, leur progrès ? Somme toute, existe-t-il créature plus folle que celle qui, à chacun de ses pas, et comme pour jalonner davantage son évolution, son involution, piétine et enfonce son esprit même, jusqu’à l’enterrer totalement — définitivement ? — C’est dans un silence de deuil, que l’oeil sensible assiste à la procession des caravanes qui partent se perdre dans le désert. Et c’est le visage inondé de sueur, le regard accablé de chaleur, la conscience plongée dans la stupeur, qu’il éprouve, l’âme brunie, les étendues sablonneuses, les riches héritières… les cimetières bien munis.
4
Le sage et le savant. — A : Hier, j’ai eu l’honneur de m’entretenir longuement avec un être d’une prodigieuse érudition, un vrai savant. Ah ! quel sage homme ! — B : J’ai rencontré, il y a peu, un esprit de modeste famille qui, n’ayant pas, dans son grenier, accumulé d’innombrables tas d’informations poussiéreuses, était pourtant bien plus prudent, raisonnable, réfléchi que la plupart des hommes se disant amis de la connaissance, de la vérité. — Lui, n’avait pas désappris à penser par lui-même.
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