L’humain réalise désormais que, même armé d’un instrument aussi puissant que la science, il doit, face à son ignorance ne pas baisser la tête et habiter la modestie. Car après avoir tant été à la dérive, et être finalement parvenu à rejoindre l’île magnifique, il est forcé de reconnaître qu’au fur et à mesure que celle-ci grandit, les éruptions volcaniques agissant : le savoir produisant le savoir, c’est l’océan tout autour qui lui aussi s’élargit. La connaissance ultime, sur les ailes des lois cosmiques, plongeant son regard malicieux dans les yeux de l’homme, — à une vitesse défiant même celle de la lumière s’éloigne de ses compétences. Et, si le scientisme était une illusion légitime il y a peu, y déposer ses plus fiers espoirs aujourd’hui confine au ridicule. Certes, il peut toujours continuer à rechercher la loi parfaite qui rendrait compte du tout, mais n’est-ce point là un espoir animé par une folie supplémentaire qui s’opère alors ? Pour le saisir, il n’est pas inutile de prendre du recul par rapport à notre supposé savoir et de projeter le film de la généalogie de l’ignorance : quatre siècles plus tôt, a eu lieu la naissance de la science moderne lorsqu’elle a pris conscience de son ignorance ; puis la nouvelle-née s’est fortifiée et bientôt après, s’est sentie capable de tout vaincre, même sa pire ennemie ; plus tard, atteignant sa « maturité », elle a enfanté sa propre ignorance ; enfin, à notre époque, dans un monde où les divers champs de la connaissance commencent à se croiser, c’est de la bouche des volcans de la complexité que des îlots d’ignorance émergent en formant des chapelets innombrables1. — Nous manquons sans cesse de savoir, mais, n’est-ce point déjà une belle avancée que de justement le savoir ?! En effet, y a-t-il plus grande ignorance que l’ignorance qui s’ignore soi-même, que l’ignorance de l’ignorance ? Les limites de la compréhension sont bien réelles, et probablement fort sous-évaluées, mais ce sont elles-mêmes qui poussent le curieux bipède à s’élever, à s’amender, à se dépasser. Savoir que l’on ne sait pas, n’est-ce pas déjà le début d’une petite victoire ? — Et, parce que nos succès ne seraient que minuscules, nous devrions, résignés à notre sort au sein de l’épais voile, ne plus nous aventurer au-delà de nos terres, de nos frontières, — par-delà nos mers et nos horizons actuels ?
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L’idée de « généalogie de l’ignorance » est née en partie à la lecture de « Pourquoi on ne saura jamais », Science & Vie, juillet 2016.
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