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Dans quelles régions se dissimulent ces esprits attirés par les cimes et les souterrains, l’azur et les abysses, l’empyrée et le noyau, ces êtres intenses, sensibles, contradictoires, complexes, ces personnalités aux multiples facettes, riches, débordantes, bouillantes, – dionysiaques ?
Laissent-ils encore le grand tranchant égaliser, aplatir, amputer leurs aspérités, leurs trous, leurs bosses, leurs pics… rogner leurs pousses naissantes et timides, leur ramure… abattre leurs désirs les plus forts, leurs plus hautes aspirations… scier la charpente et les ailes de leur esprit ? Permettent-ils encore qu’on les débarrasse de ce qui est « inutile », c’est-à-dire de ces choses communément considérées comme des attributs superflus ?
Les âmes autorisent-elles toujours qu’on les range sur ces étagères sans fin, qu’on les insère dans des rangs parfaitement droits, qu’on les disposent au sein d’un ordonnancement implacable, la tête bien rentrée dans la poitrine et sous la grande capuche sombre, tels des flacons assommés et asphyxiés avec un terrible bouchon, tels des objets accablés, ratatinés sous la charge des désignations, des spécifications, – écrasés par la massive dénomination autoritaire, par cette effroyable classification impérieuse des choses ?
Il existe des forêts de géants ensommeillés : des arbres qui ont subi la distraction, qui ont été « poussés » dans la mauvaise direction : « La tête vers la Terre ! dans le sol ! », leur a-t-on dit à chaque fois avec cette petite voix abritant la pointe acérée et l’injure. Ils n’ont pas su déployer l’égide lumineuse de leur indifférence. En conséquence, leur existence a pris un envol à rebours ! – dès lors, elle n’a pas cessé de s’enfoncer toujours plus dans la mare fangeuse, – cependant que les secondes en pluies torrentielles s’abattaient sur sa proie, – cherchant continuellement dans cette boue épaisse, dans le cauchemar, une lumière qui se raréfiait.
Mais il est des êtres émergents qui quittent les sylves ténébreuses et hantées, qui sortent du pays du songe mensonge : ils découvrent dans leurs interminables errances des sources, des ressources d’une profondeur, d’une force, d’une richesse insoupçonnée, – ils finissent par retomber sur leurs pieds ! par retrouver leurs racines ! Celles-ci se redressent sur leur lit et s’étirent, une force neuve, printanière les anime : elles ont retrouvé la soif – le sang leur bout de nouveau dans les veines !
Et les voilà qui repartent dans le « bon sens », croisant dans leur remontée le souvenir de leur égarement, lequel descend maintenant et s’éloigne peu à peu – le mouvement contre nature pique désormais du nez !
Les aperçoit-on, les âmes renaissantes, ces natures se rétablissant dans leur identité originelle, se cicatrisant, levant la tête vers Phébus, libérant leurs forces et s’élançant à l’assaut des hauteurs, de la peur, de l’existence ? Sent-on leur inspiration délirante, leur enthousiasme déchaîné ? leur soif d’élévation, d’évolution, – leur désir d’empyrée… leur « désir d’infini1 » ?
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« Désir d’infini » est le titre d’un intéressant ouvrage de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan :
Trinh Xuan Thuan, Désir d’infini (Librairie Arthème Fayard, 2013).
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