Nul phénomène ne saurait différer davantage des authentiques rêveries que les ersatz de notre époque. À l’alcool, aux comprimés, aux drogues, aux divertissements et consommations de tout ordre a été confiée la mission de délivrer de l’ennui constant, de la misère quotidienne, de l’habituelle condition. C’est que l’esprit ne parvient plus à rêver ; ce loisir, de son fait, s’en est allé. Il a désappris la valeur même des idées déliées, l’utilité de l’absence de contrôle, l’envoûtement du monde des pensées. Et le voilà qui, pauvre voilier pris à l’intérieur de l’épaisse nuit, dérive dans je ne sais quel état morbide ; dans une zone où, semble-t-il, chaque sujet, ne buvant plus à la claire fontaine de l’imaginaire, dépérit en engloutissant des eaux impropres… ; en cette source, où l’être ne connaît plus la possibilité de se désaltérer, ne rencontre plus l’occasion de se former ; dans ce liquide acide, et vaste comme une gueule, au sein duquel toute conscience vient se faire dévorer — s’appauvrir, se désagréger… se décomposer. Que se passe-t-il ? — Plutôt que de s’abandonner aux aimables rêveries la conscience s’est laissé aller aux pernicieuses chimères. Sans doute pensait-elle que les deux sources confondaient leurs eaux…
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