1. Des rêveries.
Oh ! l’individu astucieux ! Comme sa situation est agréable et pittoresque ! Il s’est fait là, au milieu des hommes, un petit réduit paisible. En ce lieu commode et accessible, il reçoit avec aménité ces honorables invités : il lit son Lucrèce, son Nietzsche, son Valéry… Quelquefois, il se lève, se promène et s’accoude à une fenêtre ; alors, son regard s’enfonce dans d’étranges rêveries, y passant des heures entières, et de curieux êtres se mettent à lui rendre visite. C’est durant ces voyages à l’étranger, à l’intérieur de lui-même, que notre promeneur solitaire compose ses meilleurs tableaux, qu’il peint de la manière la plus juste ces autres, ses semblables, leurs passions et leurs effets, les mœurs et les êtres — les mouvements de la pensée et ses crises, la nature de l’esprit… la nature des choses. Vis-à-vis de lui et en lui, parmi ce fonds très riche, il entend exploiter les lignes droites, les courbes, les formes rares, les volumes ordinaires, les configurations géométriques étonnantes ; et il se détermine à rendre clairement et vivement la variété, à épouser, — dans cette débauche de sens et de non-sens, de détails et de sentiments, — non pas la condition de l’homme moderne, mais celle de l’artiste. Car en effet, en cet état de conscience singulier, en ces régions confinant les terres de l’illumination, seul le portrait, seule l’existence du grand esthète, lui paraît être ce qu’il y a au monde de plus souhaitable.
2. Vin exquis, Mer rouge.
Ô mes compagnons ! pour quelle raison le calice de la vie, la coupe aromatisée, l’amie délicieuse est-elle si rarement portée aux lèvres ? Pour quelle raison si rarement sa magnifique robe rouge danse-t-elle devant vos yeux subjugués et pénètre-t-elle dans vos sens et vos coeurs troublés d’ivresse ? Mes aimables compagnons, c’est que les mains par trop tremblent et, ce qui est bien plus grave, qu’elles craignent indiciblement les secousses. C’est ainsi que les consciences, fuyant quoi qu’il en coûte l’éventualité de la peur, — l’intensité, la beauté, la volupté, les plaisirs de l’âme et du corps ont beau se trouver tout près, beau dire et beau faire, et le vin exquis déployer toute sa magnificence, les hommes, las ! par beaucoup de ruses, de dissimulations, de cécité et de pusillanimité, ne cessent, à leur insu, de parfaire leur maîtrise de la noyade, dans la plus sûre et toutefois plus tragique des mers.
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