« Les non-stupides sous-estiment toujours la puissance destructrice des stupides. En particulier, les non-stupides oublient sans cesse qu’en tous temps, en tous lieux et dans toutes les circonstances, traiter et/ou s’associer avec des gens stupides se révèle immanquablement être une erreur coûteuse1 » (Carlo M. Cipolla). — On se rend effectivement compte de ma présence, moi, la Stupidité : — en la nature de l’autre, en son prochain ! On s’imagine que je préfère certaines classes, castes ou races, mais on mésestime ma générosité, mon amour inconditionnel, mon équitable répartition : noirs, blancs, jaunes, rouges… besogneux, rentiers, chômeurs… esclaves, ouvriers, élites… croyants, athées… solitaires, mondains… philanthropes, misanthropes, tous sont servis de la même manière ; la grande table de ma folie est aveugle, elle ignore ces distinctions et applique, à l’intérieur des mets spécialement apprêtés pour ses convives humains, la constance de la proportion — chaque groupe dispose de sa part d’âmes particulièrement affectées, infectées. Parmi les individus les plus favorisés par mon A.D.N., les meilleurs représentants sont ceux qui, tout en infligeant à autrui moult peines et désarrois, s’offrent des effets non moins néfastes. Et au milieu de ces êtres, les plus dangereux sont ces têtes possédant et la concentration maximale de mes gènes toxiques et le dernier degré de l’influence ; le cocktail mêlant le pouvoir, l’argent et la sottise est remarquablement étonnant, quoiqu’ordinaire ô combien ! mais, surtout, il est remarquablement… détonant. Il suffit pour prendre la mesure de ce phénomène d’évaluer la santé de la planète et de mes sociétés. Certains se persuadent que mes lois méritent d’être davantage connues, qu’ainsi, éclairé par des lumières nouvelles, on élirait enfin des représentants réellement favorables dans tous les domaines éminemment importants ; à ces naïfs, je dis seulement un mot : conformément à ma volonté, les connaître parfaitement n’y changerait rien, en ces cerveaux par trop dotés de mes illustres propriétés, de mes fameux biens, car en ce qui les concerne mes ordres sont implacables. De cela découle cette vérité, laquelle sera aussi considérée par les esprits perspicaces comme un conseil inestimable : si par un concours de circonstances favorables vous êtes de ceux qui, dans le trou noir des orbites de leur interlocuteur reconnaissent ma flamme, ne tentez point de lutter, puisque celui-ci, armé d’une telle ardeur, est invincible !… mieux vaudrait maîtriser le cheval de vos émotions, et, déployer votre égide, fermer vos volets ou réaliser au plus vite et vous échapper sitôt ! — Sachez ceci, chères volontés révoltées, consciences conscientes : qu’il est inutile de vous indigner et, surtout, de vous rebeller contre mes créations (et, par voie de conséquence, contre moi), contre ces gens stupides par éminence — certains hommes sont ce qu’ils sont, et je suis ce que je suis. — L’un est simple mortel, soumis à des lois, l’autre, celle qui les prodigue, qui gouverne… qui conçoit.
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Carlo M. Cipolla, Les lois fondamentales de la stupidité humaine (Paris, puf, 2012, 1988), 56.
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