1
L’art véritable. — Comment tous ces peuples pourraient-ils accueillir une multitude innombrable d’artistes s’ils ne peuvent vivre en dehors de l’hypocrisie et de la fourberie ? S’ils ne savent ni ne peuvent habiter l’entière sincérité de leur âme ? Comment ? Ne sait-on pas que parmi les matériaux fondamentaux de l’art véritable, est la sincérité du créateur ?
2
Les nomades. — Connaît-on suffisamment ces êtres singuliers, ceux qui déclarent sans rencontrer l’hésitation : « Mon essence, dans le vaste domaine des choses de l’esprit, s’exprime en nomade. Mon lieu de naissance s’est évanoui, mon pays n’est plus, je suis chez moi… nulle part, et partout » ?
3
Collision d’astres. — « Que cherches-tu ici, dans l’écriture ? » — La collision de deux émotions, la parole qui « croise le plaisir et la souffrance, la violence de la vie et la beauté de l’art1 » (Delon).
4
Thérapie moderne. — Ce qu’attendent le corps et l’esprit de nos malades ? — La venue des étranges prescriptions : celles de pensées lumineuses, prudentes, raisonnables. Ces idées qui donnent de la clarté aux visages, aux esprits, aux chemins, qui réchauffent, qui accompagnent, qui guident : des ondes joyeuses, fortes, hautes — une luminothérapie nouvelle !
5
Ceux qui ont le plus besoin de lumière. — Quels sont ces lieux dont le délabrement, l’obscurité, l’état nécessite les rayons guérisseurs ? Les âmes illuminées… Ces places autour desquelles, ne cessent de se remuer, dans un silence trompeur, les croque-morts transportant des consciences vidées de leurs habitants distingués… Ces royaumes menaçant ruine, ces palais fissurés, — ces crânes s’assombrissant.
6
Fusible. — La matière de l’esprit est un métal particulièrement fusible. C’est pourquoi les hommes sont bien souvent facilement tentés de se fondre dans la masse. Ainsi, en tenant compte des conditions actuelles, il est aisé d’affirmer sans trop risquer de se tromper, que le conformisme est l’évolution la plus probable pour les sphères de plomb.
7
Le lustre. — Il écrit quelques lignes, s’appelle lui-même Monsieur l’écrivain, et se croit, de fait, brillant, sublime, — remarquable ! Comme l’écrit Paul Valéry, « dépouillons l’écrivain du lustre que lui conserve encore la tradition » !
8
En sûreté. — Il sillonnait les contrées reculées, à la quête d’auteurs ne fuyant pas les mots, de doigts capables de supporter le poids du verbe, d’êtres sur qui il pouvait compter : ces personnalités ayant une prodigieuse sûreté de main. Et parfois ils les trouvaient. Ce que ses yeux souhaitaient du fond du cœur ? Apercevoir, dans la joie du navigateur assistant à l’émergence de la terre dans le lointain, l’assurance d’un organe, d’une aptitude… la fermeté du goût… la noble sûreté de jugement.
9
Des chandelles qui s’éteignent. — Les aspirations, les murmures, les rêves, les espoirs qui ne sont pas alimentés, qui sont oubliés, exilés, meurent insensiblement, telles ces chandelles s’éteignant, presque à l’insu de tous, en raison du manque d’oxygène, dans et par le sinistre silence, sous les coups de la négligence — asphyxiées. L’existence, avec ce qu’elle comporte d’essentiel, ne vaut-elle pas davantage de considération, de soins, d’efforts : le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
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Michel Delon (professeur à la Sorbonne), « La place de la littérature », Revue des deux mondes, avril 2016.
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