1. Des bons compagnons.
Que cet homme est joliment entouré ! Il ne se trouve en quelque endroit, sans qu’au moins un seul de ses bons compagnons ne l’accompagne. Et quelle joie, lorsqu’il rentre avec les derniers rayons du crépuscule, de tous les retrouver ; eux, qui en silence attendaient son retour au cœur de l’impatience. Alors, comme un aimable chien haletant de gaieté à la vue de ses maîtres, il se jette sur ces amis, les petits et les grands, les jaunes, les blancs, les noirs, les rouges…, ne négligeant ni les vivants ni les disparus, les prenant un à un, caressant certains, pressant d’autres contre son sein, rigolant avec celui-ci, taquinant celui-là… ; ses bras sont fort courts, mais ils doivent céder : le désir d’embrasser la belle assemblée est par trop considérable. D’aucuns par la solitude sont hantés ; lui, quittant le vacarme des hommes et retrouvant la douce chaumière, en passant le seuil de sa solitude retrouve ses amis, ses amours : ses livres, sa sérénité — lui, en quittant le terrible tapage de la foule surexcitée, pénètre et se loge, dans le paisible silence habité.
2. Le Grand.
Croyez-vous donc que son esprit s’évertue à sonder les profondeurs du beau, de l’utile, du vrai, du bien ? Que voudrait-il fréquenter ces enfants de la mode, ces denrées périssables, ces conceptions lunatiques, superficielles, ces nourritures terrestres ??? Non ! son œil, à travers sa seule raison de vivre, à travers un motif clair comme une fenêtre pure ouverte sur les contrées illuminées, regarde vers le « Grand » ; car lui seul est « Impérissable » — lui seul abrite le « Sublime ».
3. De la sculpture.
Quel sens pourrait exister dans l’attitude d’une conscience qui fréquenterait les hautes pensées mais sans se laisser quelque peu déformer ? — Il faut que la personnalité qui se construit accepte joyeusement de laisser à quelques-uns le privilège de parfois la modeler. — La conscience doit s’éduquer, et savoir garder la mémoire de certains burins : celle des idées essentielles, des paroles de valeur, des créatures inestimables. C’est ainsi qu’en accueillant favorablement les coups, les effets des ciseaux, en recherchant même leurs causes elle sera, peut-être un jour, en mesure de posséder l’art de la sculpture à son tour. Enfin fasse la fortune qu’elle n’oublie ceci. On peut souvent évaluer la grandeur des présents déposés par quelques mains suivant ce qu’elles dérobent : leur passage emporte un grand nombre d’impuretés. Aussi ne faut-il point trop rapidement juger les bénéfices d’après ce que l’on voit pour la première fois arriver, mais d’après ce qui reste dans la suite. — Mainte fois, à l’intérieur d’une cité, ce qu’il y a de plus charmant réside aussi bien au fond de la qualité des structures, des formes, des constructions que dans l’espace libre entre ceux-ci. « Les grands artisans de villes sont des sculpteurs d’espace », écrivait Duhamel. D’aucuns le savent…
4. L’intervalle.
Distance entre les paroles humaines, séparant une existence qui émerge et une autre qui glisse, noir entre les étoiles, espace libre à l’intérieur des cerveaux, écarts minimums et maximums : comme la réalité se plaît à se cacher ! parmi la petitesse comme parmi l’immensité ! Et combien les chasseurs de réel, au milieu de ses moindres replis tentent des hypothèses, des théories, des expéditions… courent à la découverte des histoires, des énigmes, des révélations ! — Combien ils pressentent que c’est au sein de l’intervalle que les trésors abondent, la nature se dévoile, les mathématiques chantent, la physique et la chimie dansent, — qu’ici tout se rencontre, se transforme, se passe et se sait !
Photo © iStockphoto.com / colematt
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