Imbéciles, insensés, grossiers personnages du globe, comme vous nous répugnez ! et comme on vous envie ! Ignorant que vous n’êtes que des hommes, étrangers à la folie qui pousse l’humain à greffer à lui-même des ailes grotesques et à s’élever vers les dieux, vous embrassez votre vraie nature, vous évoluez dans la spontanéité : vos âmes se mêlent à leurs propres vérités, et s’y baignent à longueur de journée. Ne tentant point de vous déguiser, de vous dissimuler sous la science, l’art, la sagesse, vous vivez en jouissant et des plaisirs du monde et de la simplicité de votre vie de bête, jamais insatisfaits de votre condition, jamais à vociférer contre la fortune qui tire sur les fils accrochés à vos bonnets à sonnettes. Combien en vous voyant on ne peut s’empêcher d’éprouver un puissant sentiment de jalousie, et parfaitement justifié qui plus est : vos esprits sont épargnés par les plus grandes misères, les plus fondamentales, les effroyables tourments — ils se déplacent gaiement sans le doute, sans la peur, sans l’accablement ! — « Oui, comme l’écrit Érasme, plus les hommes s’adonnent à la sagesse, plus ils s’éloignent du bonheur1. » Et cette affirmation, conforme à toutes les pensées valables, peut choquer le bon sens par ses faussetés, mais, elle contient autant de doses de vérité — la lourde langue du « Réel » est bifide ! Vrais fous, qui peuplez les terres : ma raison, ma conscience… je… vous hais !… Vous, mes semblables, vous — mes frères !
- Érasme, Éloge de la folie (Éditions Mille et une nuits, 2006), 72.
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