Je considère un phénomène, une chose ou un aspect des choses ; dès lors deux individus s’approchent de moi, et chacun d’eux se met à raconter une histoire différente concernant la même situation, la même propriété, le même évènement ; chaque théorie en fait le récit et explique les faits sans qu’il soit possible de déterminer laquelle est la mieux fondée, laquelle est davantage réelle, ou bien supérieure à l’autre.
Le monde paraît être constitué de ces systèmes d’idées embrassant individuellement un ensemble de phénomènes distincts. Entrevoir ses dualités, ses pluralités, sa complexité pourrait consister à considérer cet univers, physique et psychique, comme un réseau d’idées et de faits, d’histoires plus ou moins vraies relatives aux réalités, chaque description prouvée englobant une ou plusieurs manifestations. « Il ne semble pas exister, écrivent Hawking et Mlodinow, de modèle mathématique ou de théorie unique capable de décrire chaque aspect de l’Univers […] à cette théorie unique se substitue un réseau entier de théories baptisé M-théorie1. »
Peut-être devons-nous oser étendre ce concept au-delà de la cosmologie, et énoncer l’idée suivante : que l’on porte finalement notre regard dans le domaine de la logique ou dans celui de la psychologie, de la philosophie, etc., des vérités parfois — souvent… — contraires se croisent, se chevauchent, s’emmêlent, et prospèrent ; tout ceci en un métacadre peu ou prou cohérent formé par les bornes de la connaissance du moment.
Si l’esprit veut continuer à comprendre ce qu’il est et où il vit, peut-être est-ce la « composition » de la logique même, ainsi que sa structure, en somme, la nature de la logique, qu’il faudrait qu’il conçoive d’une manière nouvelle. — C’est ce quadrillage gigantesque, ce damier étrange composé de lignes droites perpendiculaires et parallèles, mais également de courbes et d’entrecroisements, d’espaces multiples, biscornus, « chiffonnés » (pour reprendre un terme qui est extrêmement cher à Jean-Pierre Luminet2) qu’il se doit de mieux visualiser et appréhender. C’est enfin le labyrinthe mystérieux et majestueux de l’existence, pas seulement ses chambres, ces galeries, mais sa « topologie », son essence, son arcane, qu’il lui faut explorer — c’est le fil d’Ariane qu’il doit retrouver…
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Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? (Paris, Odile Jacob, 2011, 2010), 71-72.
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Voir par exemple J.-P. Luminet, Illuminations (Paris, Odile Jacob, 2011).
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