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Ce monde n’est-il point particulièrement tragique, je veux dire n’excite-t-il pas d’une manière inouïe « la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie1 » ? Évidemment, il l’est.
Car quel coeur peut être insensible à toute cette horreur, à toute cette détresse, comme tout à fait étranger à ce dégoût de la société ?
Tant de choses semblent inviter au vertige, au désespoir, au glissement. On aperçoit les pensées obscures, ces silhouettes floues qui s’agitent ; elles nous font signe, elles appellent, elles incitent ; dans la pénombre du crépuscule, au loin, au large, ces sirènes mugissent ; la lourdeur de leurs paroles, dans le silence des crânes retentit ; dans les voiles des esprits les créatures veulent souffler leur colère, leur misère, leur peur, leur malheur. « Que fais-tu, murmurent-elles, mes bras, mes mains, mes caresses t’espèrent. Approche… ne retiens rien… laisse-toi donc aller, laisse aller les choses. Ne crains point mes intentions et découvre mes attentions. Approche. »
Dans ces conditions, n’est-il pas d’autant plus nécessaire, vital de se garder de porter un jugement farouchement hostile sur la vie, – de la traiter en ennemie, telle une nation avec laquelle on serait « éternellement » en guerre ? N’y a-t-il un art de vivre, une sagesse profonde, un art de la « guerre » dans la quête d’un auguste commerce avec les pensées négatives et dans cette tentative d’aimer tous les fruits de la nature ? Ainsi, l’éducation du goût en chaque individu, et cela afin que celui-ci puisse s’accommoder de la saveur amère, de tout, voire même s’en délecter, ne constitue-t-elle pas une tâche de premier ordre ? – Se réconcilier avec l’existence en vue d’être en mesure d’en jouir : cet enjeu n’est-il pas suffisamment grand ?
Quand on est en proie aux indicibles tourments, emporté par le doute et la mélancolie, combien le noir même paraît doux et sa stabilité prometteuse !
Eh bien, il s’agit d’apprendre à le goûter, à danser avec lui, à peindre ensemble, mais de refuser ses avances, ses instincts si belliqueux, si bestiaux, si impérieux : il s’agit de ne jamais s’y soumettre, s’y abandonner, s’y engouffrer – s’y abîmer !
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Jean Racine, Oeuvres Complètes [e-book] (Arvensa Éditions, 2013), empl. 6245.
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