1
Des voies anti-physiologiques. — Il a ingéré cet aliment et celui-ci l’a rendu malade, exercé ce métier et récolté les tourments, fréquenté ces personnes et dilué sa personnalité, embrassé telles idéologies et s’est enlisé, pris certaines directions et s’est fourvoyé. — Néanmoins toutes ces voies contraires à sa nature lui ont été utiles, car elles l’ont dévoilée à ses propres yeux : par elles, sa physiologie s’est faite connaître. — Et ses pas progressent sur des chemins plus sûrs désormais — c’est une âme confiante qui l’anime à présent.
2
De l’intérêt de se cacher. — Lorsque le cœur déborde de grands sentiments, lorsque les amples mouvements, l’intensité, la vie envahit tous les canaux d’un homme, il arrive — la plupart du temps, en vérité — qu’il doive dissimuler ces phénomènes quel que soit le prix. Car autant de force, de courage, de passion, de générosité : cela paraîtrait fort suspect aux regards des autres, trop étrange dans un monde lisse, — trop mâle, trop homme, pour être humain.
3
Des âmes molles. — Il se concentre sur ce qu’il a à faire. Il y répand ces jours, il en rêve la nuit. Et quand on lui répond qu’il est plus qu’il ne faut d’obstacles au vrai travail, que le nombre de parasites, que les difficultés sont insurmontables, il instruit ses interlocuteurs de cette vérité : « Toutes ces choses ne possèdent que la puissance, l’influence, l’emprise, l’empire qu’on leur accorde ; le trouble, les perturbations, les alarmes ne s’obstinent à assiéger que les âmes courbées ; — seules sont touchées par l’invincibilité des traverses, par les maux, par les fléaux les substances malléables, les âmes déformables — les âmes molles.»
4
Bonnet phrygien. — Si tu désires le développement de ton esprit, tu ne devras point hésiter à porter très souvent — à la grande satisfaction de l’oeil extérieur, du jugement moqueur —, le bonnet à grelots : il te faudra accepter cet état qui, en négligeant tout ce qui justement intéresse autrui te fera passer pour le dernier des idiots et le plus fameux des fous. Mais ce n’est qu’à ce prix que s’obtient la tranquillité d’esprit ainsi que la distance indispensable à la poursuite de ta route et à la production de tes ouvrages. Car les réalisations de valeur demandent que s’il le faut on ne soit pas indécis quand il s’agit et de faire rire autrui et, sans qu’il le sache, de rire avec lui. — Tu ne peux grandir à l’intérieur de toi-même en regardant constamment vers l’extérieur ; à ce sujet, souviens-toi des paroles de cet ancien esclave phrygien au moment où il dit : « Mais il est de toute nécessité qu’en s’occupant de l’un on doive négliger l’autre1. » — En effet, comment un jardin, même prometteur à ne pouvoir l’être davantage, serait-il en mesure de s’embellir si le soleil lui-même le privait de lumière : si la face et les rayons de l’astre, en se mettant à tourner le dos à la terre l’empêchaient de jouir de l’attention, de la chaleur célestes — s’il lui ôtaient sa nourriture et sa boisson ?
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Épictète, MARC-AURELE pensée pour moi-même suivies du manuel d’Épictète (Paris, Flammarion, 1992), 188.
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