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Il est des plantes qui, par leur silhouette grêle, par leurs petites fleurs pourpres et leurs fruits innocents, déambulent d’une allure légère et s’épanouissent sous l’apparence de la fragilité et de la candeur.
Les préjugés, les interprétations superficielles, les convictions empruntées, toutes ces éclosions par trop hâtives du jugement, sont telle cette cuscute des clairières. Elle s’enroule sournoisement autour des circonvolutions mentales, s’y enfonce, s’y emmêle et s’y ramifie, corrompant systématiquement et de manière systémique, par ses nouveaux circuits ainsi que par ces réseaux émergents et dévastateurs, le tréfonds de son hôte : ses sources vitales, ses pensées les plus nobles. Il en résulte, fatalement, une conscience et une raison qui se vident, s’anémient, s’étiolent — consciences infiltrées, parasitées, dépravées.
Vous les esprits libres, les plantes médicinales ! préservez vos « principes » pharmacologiques ! gardez-vous de la cuscute des champs mentaux ! Prenez garde à cette mauvaise herbe, à ce chiendent qui croît toujours, et qui hante les cœurs et dévaste les âmes, — qui dénature la vie même de l’esprit ! Gardez-vous de ces tiges grimpantes, de ces tigresses qui voltigent ! et de la bassesse de leur « nature » ! Car cette bassesse veut communiquer ses forces de vie descendantes, et elle « sent » la vulnérabilité de son hôte potentiel ; elle détecte sa faiblesse volatile ; elle voit la pâleur maladive de sa volonté ! — et cette pâleur funeste, c’est cela même qui attire le végétal infernal !
Les fleurs aux multiples couleurs accouchent d’une ombre. Les petites graines se dispersent en nuée, et elles sont résistantes ! À même le sol ou dans les « conduits » souterrains les plus sombres, elles attendent patiemment leur heure. Et déjà le moment arrive ! déjà la germination a lieu, et bientôt la cible est en vue, tout élancée dans sa naïveté, éclatante et imprégnée d’insouciance comme peuvent l’être les dernières clartés à l’aube du crépuscule du soir. De trop tôt pour qu’elle en prenne conscience, il devient vite trop tard pour se séparer de l’étranger qui s’est agrippé puis mêlé au soi : l’alternative semble comme passée pour cette âme, quand bien même elle souhaiterait s’extirper, se dégager, — se séparer d’elle-même !
Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour que des esprits plus vigilants, plus vigoureux et plus éclairés prospèrent ? Pour voir s’épanouir des cultures, des terres mentales plus saines, plus sages et plus libres ?
L’essor de l’information, le développement foisonnant de memes inédits et l’explosion des moyens de communication transforment la culture, les « paysages psychiques », — la nature de la nature. Toute cette agitation, toute cette folle frénésie favorise la germination des graines nobles, mais aussi de celles plus dévastatrices : au sein de cette époque pleine de promesses, c’est aussi la prolifération de la Bêtise qui poursuit son oeuvre en répandant sa substance, sa peste, et, ce faisant, en vidant foncièrement et très substantiellement la sagesse de son essence.
Car elle a également soif de conquêtes, l’impératrice ! Elle aussi aspire à s’étendre, à se déverser, à assouvir les instincts et les passions de cette sève vitale qui monte… qui la porte… qui la transporte vers de nouveaux ailleurs. La dame s’éveille et s’anime, le besoin et l’envie excitent sa nature, et voilà que se déchaîne la créature rougeâtre ; elle se déploie, et lance vers le proche comme vers le lointain ses filaments et ses écailles, elle dissémine sa volonté, ses filets impérieux, elle impose son hégémonie, elle envahit son futur proche ! — elle veut satisfaire son désir de puissance ; en colonisant les espaces, en s’infiltrant dans le tissu du temps et dans le cerveau des peuples — les propriétés de sa substance lui permettent même de pénétrer le bois le plus dur, le matériau le plus fiable, la matière la plus noble ! —, c’est sa survie qu’elle entend assurer, c’est sa pulsion de vie qu’elle désire rassurer et soulager !
Mesdames, Messieurs, voici venue l’heure formidable, la grande époque, celle d’une germination inimaginable ! Et avec elle, l’heure de la grande question. Au milieu de ces paysages qui se complexifient, de ce fond et de cette forme qui se renouvellent sans cesse, de ces transformations continuelles, de ces métamorphoses perpétuelles, de ce tableau qui se dessine sous les doigts et qui, simultanément, forme ces mêmes doigts, parmi ces mains floues, ces lignes humaines qui s’agitent et ces contours qui nous tracent, au sein de cette « cécité mentale » généralisée, favorisera-t-on les « jeunes pousses » porteuses de véritables promesses, les semences génératrices, les processus créateurs d’énergies nouvelles et d’espoir, ou bien les plantules assoiffées : ces armées au service de la pensée décadente qui vampirisent, qui dégradent, qui sèment la déchéance ? Je veux dire, réunira-t-on toujours davantage les conditions atmosphériques « optimales » et les propriétés du sol « nécessaires » en vue des stupéfiantes floraisons, des épanouissements inouïs ? En somme, privilégiera-t-on l’immense Sottise : le Parasite et ses suçoirs ? — Et continuera-t-on à se délecter du fruit défendu ?…
Où donc esquisse-t-on ce prodigieux jardin « cultivé », clair, gai, ce jardin élagué, ennobli, débordant de santé, ce jardin où croît et florissent une végétation viable, sûre et élevée ? Où évoluent-ils ces artistes horticulteurs ? Et va-t-on enfin l’aider à germer, ce coin de paradis rempli de « clartés », de beautés, — regorgeant de tout ce qui est nécessaire à la vie ? — ce lieu plein ; et prodigue de ses délices, ô combien !
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