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Certaines situations, certains états, réclament des mesures considérables. J’ai écrit (« Monde débilité et débilitant, la bêtise et les deux chocs ») qu’il y a des « folies » au sein de nos sociétés actuelles qui nécessitent des « trépanations modernes »1. Il est manifeste que nos cultures modernes gagneraient à être soigneusement soignées, à bénéficier d’un amendement complet. Et n’allez pas croire, de grâce, que je sombre dans un optimisme béat ; ou encore, dans la croyance naïve en une doctrine qui considérerait le bien commun comme la chose souhaitable et tangible ; ou même, et cela serait encore pire, et si éloigné de la réalité, dans l’insondable déraison des systèmes et des procédés eugéniques extrêmes, lesquels sont à la fois extravagants et méprisables ; mais il faut le dire — permettez-moi de le faire — : des mesures très énergiques s’imposent — il est des maladies aiguës, des affections, des états physiologiques dépressifs, des crises, des « états de choc », qui ne peuvent se passer de l’électrochoc.
Ainsi, ne faut-il pas éclairer cet esprit obscurci, embrouillé, cette entité errante, aveuglée, cette conscience, cette automobile, ce navire sans phares, effarée — et si les circonstances le requièrent, si l’obscurité est par trop épaisse, être prêts à utiliser des moyens exceptionnels… à convoquer la foudre ? Les exigences de la situation sont univoques et on croirait l’entendre hurler : « Il faut en venir à un éclat !… à des éclats même : de tonnerre ! de stupidité !… Il faut fragmenter la bêtise et lui ramener les pieds sur terre à cette pensée insensée, maladive, nocice ; la décadence doit être rivée au sol si cela est réclamé, et une coloration vive et neuve doit être amenée sur Terre ! À cette fin, on disposerait sur les innombrables tables d’opération occupant des hangars vastes comme le monde, des cerveaux « ouverts » sur lui ! — et forcés de le faire ! Et tout autour de ses consciences qui écloraient, de ces surfaces, de ces cavités à ciel ouvert, s’agiteraient en nombre, dépassant des tabliers blancs, les petites mains de ces augustes médecins de l’esprit manipulant leur lame éclairée, leurs idées lumineuses ! »
Dès lors, il serait possible d’assister à la grande chirurgie, à la thérapeutique profonde et authentique du formidable « mal » de l’esprit moderne, à une opération, à une « intervention » humaine et bénéfique (oui, les deux adjectifs peuvent être apposés et les deux termes coordonnés : cela est autorisé et même, possible…) d’envergure ! Et nous serions les premiers témoins, combien privilégiés, de la mise en oeuvre de ce traitement novateur, de cette « luminothérapie » curative puissante, incisive et bienveillante ! Une médecine universelle et équitable serait disponible, et les systèmes nerveux accourraient en foule, gambadant en se rapprochant afin de se réchauffer au contact du doux rayonnement laser, se bousculant joyeusement pour bénéficier des progrès notables de la « technique », pour jouir de ce remède souverain, de cette neurochirurgie salvatrice contre la bêtise humaine !
Malheureusement, car il y a toujours un mais, il y a des éclats2 que la nature, le hasard et l’évolution ont rendus à peu près indestructibles : j’entends ces fragments de plantes en touffe que l’on a beau inciser, séparer et exiler — ils sont toujours prompts à exploiter la moindre occasion, comme subissant une impulsion impérieuse, comme obéissant à un impératif inscrit dans leurs gènes, pour jeter une nouvelle fois leurs racines sur les sols puis sous la terre, et, en définitive, pour s’épanouir encore davantage.
Mais qu’importe ! Cette Bêtise peut bien aspirer à s’éparpiller avec constance, et à coloniser toujours plus les espaces : elle recevra elle aussi, quand arrivera son tour, son traitement !… Toutes les énergies volontaires et conscientes seront réunies, et on se servira, s’il le faut, de l’ensemble des camisoles de force disponibles en vue de collecter tous les fragments, et de la faire monter enfin — la coupable ! — sur le billard…
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« […] il est des folies contemporaines qui réclament des traitements de choc — à la hauteur de l’état de choc et des enjeux actuels —, qui requièrent des topiques, des patchs systémiques, voire des “câblages” nouveaux, fonctionnels, des trépanations modernes ! »
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Éclat est ici pris dans le sens de : « Fragment d’une plante en touffe muni de racines, qui, replanté, se développe et donne une autre touffe » (Ac. 1992).
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