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« L’individu stupide est le type d’individu le plus dangereux. »
Carlo M. CIPOLLA, Les lois fondamentales de la stupidité humaine.
La « petite » Bêtise qui réside dans les cerveaux et règne sur les peuples est une vieille géante : « Ses mains sont des mains géantes. Ses doigts sont géants, ses phalanges géantes1. » Sa propre conscience devient colossale : elle accapare, avale toujours plus d’espaces et de ressources, cependant que la clarté faiblit et que la demeure éclairée s’effondre — l’être fabuleux se nourrit de luminosité, le noir absorbe la lumière ; son esprit engloutit l’esprit, il est cannibale ! La reine sombre, cette hideuse araignée des « hauts greniers », délivre son neurotoxique et, de l’intérieur, phagocyte son hôte liquéfié ! Et comme elle est tenace ! Combien elle résiste au temps, la besterie2 !
En outre, elle ne sévit que rarement seule : la Sottise est bien souvent à ses côtés pour l’accompagner dans les manigances et les intrigues. Et prenons garde car le couple est partout : la présence de Dame Ignorance et l’absence de Dame Jugement sont deux phénomènes ordinaires dans les consciences ! — Bien que l’illusion soit considérable, il ne faut pas se méprendre : des bêtes évoluent au milieu des gens d’esprit, et des sots au sein des savants3 ! Bêtise et Sottise sont les ennemies les plus intimes, les plus sournoises, les plus pernicieuses de l’esprit libre — que dis-je, de l’esprit, tout court, des sociétés en général, de la vie en particulier… —, les plus imposantes, — les plus terrifiantes !
C’est dans cet état de manque, dans cette sécheresse mentale, que ces deux forces s’expriment le mieux, que le terreau idéal les invite à assouvir leur soif et leur faim dévastateurs, qu’elles ingèrent, qu’elles dévorent à leur guise, — ne laissant que des miettes, des traces, des fragments de lumière… des consciences périclitées, morcelées dans l’obscurité.
Quand soufflera un grand vent de fronde ? Quand forcera-t-on les reines régentes à reconnaître leur « faute », leur « erreur » ? Et quand les verra-t-on enfin fuir ce palais des Tuileries dépoussiéré, illuminé ? Quand seront-nous témoins de cette scène inouïe, inimaginable où ce couple destructeur cherchera alors refuge ailleurs ?
En définitive, prendra-t-on conscience des « lois fondamentales de la stupidité humaine4 » ? Et promulgera-t-on et fera-t-on respecter des « lois » nouvelles, des lois contraires en conséquence — des lois protectrices, profitables, durables ? Le moment viendra-t-il où, des aurores neuves et fraîches se levant dans les âmes endormies et embrumées guideront les destinées ?
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Giraudoux, Judith, dict. TLFi.
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« Bête. Bêtise est récent ; autrefois on disait besterie. » Dictionnaire Littré (XMLittré v2), disponible sur
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Ibid.
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Carlo M. Cipolla, Les lois fondamentales de la stupidité humaine (Paris, puf, 2012, 1988).
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