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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Vincent PAYET

Navires ailés

Navires ailés

21 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Navires ailés. — Intrépides mâts de l’esprit, bravez l’onde inflexible et bouillonnante ; esclaves des éléments, accordez vos voiles à la favorable brise des Heures… Bondissez, ailes de la machine de fer, dont les pores aspirent à l’avenir ; dansez parmi l’altitude et proclamez la libération vierge ! Quand rejoindrez-vous les clartés du tombeau, les particules immortelles, le souvenir ému des peuples, où les merveilleuses natures sommeillent !

 

2

Gestation comique. — Quels que soient les humides couleuvres pour l’Évolution monumentale qui les supportent, — les mortels procurent du moins diverses sources au fou rire surnaturel de leur mère.

 

3

Éternels présents. — Les esthètes qui hument la timide Nature, et de qui dépendent les cœurs poétiques, en qui seuls parviennent l’autonomie, les lauriers et la vie continuelle, — sont aussi ceux que l’on supplie de peindre l’intérieur de leur âme et de léguer aux nations, lorsque l’époque leur agrée, les inappréciables et multiples chefs-d’oeuvre.

 

4

Mortelles attentions. — Celui qui cherche une consolation, et de qui l’esprit sain se défie, à qui seul apparaît l’illusion, la maladie et la folie, — est aussi le seul qui s’évertue pour rester dans le giron divin et pour lui sacrifier, à toute heure, de précieuses et mortelles attentions.

 

5

Raison incirconcise. — Âmes saines, âmes nues, âmes incirconcises, fiers et robustes enfants de la Raison, combien vous savez en dépit de votre jeune âge, en dépit de tout, vous bien garder des pourpres lacs d’une servitude sensuelle et assassine ; combien votre charitable élan, votre fougue vertueuse, votre action toujours heureusement juvénile excelle en la délivrance de traits rédempteurs ; avec une force toujours renouvelée, dans un morceau de bravoure obstiné, par la main régulière d’amènes expédients, que vos esprits s’enflent, ô noble et fidèle descendance, ô fils tant fortunés, parmi la danse, ô mâles voiles mêlées de constants souffles révoltés : et quelque effort que cela exige, en leur amour du bien et du vrai, que vos têtes prodiguent aux fols pensers d’alentour, à ces ennemis vagabonds, d’augustes coups de talon dans le ventre et sur le crâne !

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / nikolaj2 

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Sans bornes et sans limites ?

Sans bornes et sans limites ?

17 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Sans bornes et sans limites ? — La physique moderne nous dit que tout système ne peut contenir une information infinie ; et fait ainsi apparaître une limite dans les profondeurs de la réalité. Cependant, voilà que certains vont jusqu’à encenser les capacités « illimitées » du cerveau de l’illustre animal ! et que d’autres, « les plus spirituels », dit-on, se croient capables de pleinement embrasser l’étendue de l’immensité ! À la vérité, du premier jusqu’au dernier, telles de petites chenilles, par ondulations successives, tous progressent sur leur petite sphère, mais, étant donné que, chemin faisant, aucun obstacle ne vient enrayer la marche de leur pensée, puisqu’ils ne distinguent en nul instant le bord, ils s’imaginent peu à peu emplis d’une puissance toute prodigieuse, se figurant même, sous leurs pas à venir, des horizons qui s’inclinent, des contours, des lieux, des contingences se courbant à la simple vue de leur volonté souveraine. Dieu ! que la mémoire, individuelle comme collective, est faible ! le souvenir, court ! les bribes… fugitives ! Époque après époque, les mêmes pensées reviennent, et reviennent ; le règne de l’identique, l’autorité du Cercle et des Cycles a toujours occuper l’ensemble des temps et des champs : les consciences si minces, les belles marionnettes, après l’exécution d’un tour complet — attendu que le domaine dans lequel elles marchent à l’aventure est bel et bien une surface de superficie finie et que le nombre des combinaisons par les lois autorisé se trouve en outre bien limité —, se remettent à emprunter la voie d’anciennes traces, à s’engager en d’antiques sillons ; mais, étonnement ! sans qu’il advienne qu’elles s’en aperçoivent le moins du monde ! À la suite de cela, par simple curiosité, pour le goût de l’expérience, que ceux qui possèdent le flair s’efforcent à faire entendre et rime et raison à la nuée de visiteurs bornés, et nous rapportent de ce voyage, en la belle humeur, leurs curieuses impressions !

 

2

Peinture indécise. — Tant de verbes sont sus, de phrases virevoltent, de structures s’allument dans les têtes ; cependant le mot nécessaire s’ensuit rarement. Les diverses pensées affluent vers la haute palette, et si quelquefois elles sont belles, cela, bien souvent, est insuffisant pour l’expression de leur teneur. Ordinairement, la technique manque, certes, avec constance, mais le coupable se dissimule essentiellement dans la vitesse de création : dans l’absence de ce temps et de cette attention indispensables à la découverte du rythme, du sens, de l’aspect en harmonie avec ce qui, en pleine intensité, a été vécu. De ceci découle l’impossibilité très répandue de peindre dans toute sa force ce que l’on sent. De ces conditions émerge l’incapacité de libérer les émotions, les sentiments, les abstractions les plus élégantes. Lorsque les lignes passent devant le jugement, le bon goût, tout semble noyé par l’obscurité, par le flou, par des lames d’incertitude ; rien ne paraît en mesure de ressortir sur cette étendue diluante. En ce tourbillon de l’informe, l’objet ne sait s’éveiller ni durer, dans son corps propre, en sa juste forme.

 

3

Gratis pro Deo. — Comment reconnaître les mêmes mérites chez celui qui s’éreinte à débarrasser son écriture des souillures et chez celui qui patauge dans la licence ? Chez celui qui respecte le lecteur et chez celui qui le méprise ; chez celui qui se glorifie de chaque lettre imprimée par sa main et chez celui qui sent la nécessité de l’humilité ? On serait indignes, misérables, si, en n’estimant pas à leur juste valeur les œuvres produites, si, en n’endurant pas ce qui est nécessaire pour obtenir quelque chose de première importance, on les « consommait » de la même manière : en de semblables efforts, en ne payant, toujours, qu’un « prix » identique.

 

4

Incompréhension divine. — Comme on lui montrait sa propre création, un des Dieux du hasard s’exprima de cette façon : « À mes yeux, des siècles de siècles se sont écoulés en fleuve impétueux, mais rien, non rien en ma conclusion n’a bifurqué, fluctué, rien ne s’est mué : personne, parmi ce chaos organisé et vivant, ne saisit pleinement ce que signifie ces mouvements, ces objets, ce devenir incessant… Dans l’immensité des cieux ou en un autre lieu, semblable à un horloger face à un mécanisme incompréhensible, un absurde système ivre entre ses doigts, ou encore, un physicien moderne devant une équation revêtant une manière de voile d’une étrangeté déconcertante, en présence de la si bouleversante mécanique quantique, nul n’entend véritablement rien à ce phénomène terrestre aux ressorts tant cachés et pour ainsi dire déréglés, à cette boussole insensée, à cette entité — à cet objet non encore clairement identifié qu’est la condition humaine. »

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / RienkPost

 

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Du génie mêlé

Du génie mêlé

15 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Du génie mêlé. — Croirait-on une seule seconde que les plus belles plumes passées fussent ignorées par celles qui succédèrent ? Chez une âme emplie de dons, pleine d’elle-même, il suffit ordinairement de bien peu pour que dans le jour éclate la force de son ample expression. La pensée de Goethe rencontra celle d’Homère, Nietzsche lut le premier, Valéry connut Mallarmé… L’esprit le plus vaste et le plus profond, le génie authentique, le génie supérieur se nourrissant de substance propre se construit également en puisant dans la matière lumineuse de ses illustres prédécesseurs.

 

2

Âmes à vendre. — Combien d’écrivains corrompent leur métier en assujettissant ce qu’il contient d’honorable et de beau à l’approbation, voire à l’admiration du consommateur le plus probable ? Et, pour que le ridicule soit à son comble et que sa coupe puisse se déverser complètement… : à leur égard, on use encore du terme artiste, là où, sous l’influence extérieure — de l’authenticité même ce courant destructeur —, l’unique ensemble qualificatif « marchand de tapis » serait acceptable. Les fanfarons se targuent d’une totale indépendance d’esprit, mais, en vérité, évoquent davantage ces femmes qui, après avoir parler d’une voix tout assurée, voyant leur amant brutalement éconduit franchir pour jamais le seuil de leur cœur, réalisent dans l’instant qu’il leur paraît impossible… de penser seulement de durer en cette cruelle absence. Que ceux-là sont esseulés, qui œuvrent dans l’ombre, remplis du doux charme du bien dire, et du bien faire ! C’est une bien maigre assemblée que ce nombre réunissant les délicates natures, en lesquelles il advient que l’amour de la forme les emporte par soi seul. — Ils fondirent sur les sirènes de la gloire, sur les filles d’Achéloüs et de Calliope, sur l’épée haute ! et se saisirent qui d’un costume, qui d’un cocktail qui d’un microphone. Et tous du long sommeil.

 

3

Des esprits majestueux. — En se promenant par toute la terre, on remarque de majestueux bâtiments, et admire leur robustesse. Les autres se sont affaissés sous le poids des années. Seulement les premiers voient même leur qualité et leur vigueur peu à peu se renforcer, eux, tandis que la chute des seconds paraît s’accélérer, elle. Considérables tremblements de terre, terribles intempéries, troubles, dérèglements nombreux et variés, rigueur des conditions, rigueurs du destin, de la vie… inclémence du ciel et du sol : tout s’éveille et s’acharne, les obstacles divers se dressent sur la stabilité des édifices. Certains sont comme faits pour en ressentir les plus impitoyables effets et promptement crouler, bien peu pour que nul ne puisse déceler en leur structure, en leur force, la moindre trace de ces évènements contraires, de ces possibles fissures, la plus infime présence de la plus petite faiblesse. Et la vérité de tous ces phénomènes n’est pas altérée lorsqu’il s’agit, non plus d’architectures de briques et de pierres, mais de constructions de chairs et de sang, organiques et mentales — d’âmes et d’oeuvres bien humaines.

 

4

La preuve dans les figures. — Pour quelles raisons les grandes figures de la science, de la pensée, de l’histoire, le génie occuperait-il une place si essentielle au sein des sociétés humaines ? Parce qu’il permet aux enfants du monde de jouir d’environnements enrichis. Parce qu’il les stimule en leur donnant l’occasion de voir, de réfléchir et de s’émerveiller, si du moins les obstacles de leur nature ne s’élèvent verticalement sur leur propre route. Que l’on fasse donc cette petite expérience de pensée consistant à ôter de l’esprit des siècles ses personnalités exceptionnelles, et que l’on en tire des conclusions justes. — Ce type d’individus exceptionnels joue en toute certitude un rôle insoupçonné dans le développement normal des civilisations, lesquelles ne seraient en mesure, pour ce qui est des choses du monde de l’intelligence, du raffinement, de la haute élégance, d’échapper à la rigidité, aux sévères handicaps, voire à leur probable perte si, tel un champ tout à fait négligé, brusquement elles se trouvaient livrées à elles-mêmes, pour ainsi dire laissées au bord du chemin, sur le fond de la misère, en quelque sorte exposées aux perfides courants de leur triste sort, comme abandonnées à leur bien funeste pente — leur course tant naturelle…

 

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / liuzishan 

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De l’infléchissement du progrès

De l’infléchissement du progrès

11 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

De l’infléchissement du progrès. — Continuez, Modernes, de multiplier les continuelles alarmes, et de verser vos espérances dans le sein de la technologie. Souffrez donc que le cours du « progrès » ne s’infléchisse. Les problèmes sont par d’aucuns simplifiés, mais ce n’est point là que veut se déposer votre confiance. Non, « consommation, excès et décadence », n’est et ne sera point de ces formules que bannissent vos consciences.

 

2

Parents sur banc d’infamie. — On vous accuse, penseurs, poètes, artistes, d’accabler les nombreuses têtes en y répandant par trop de pression et en y formant des monstres. Ces détracteurs, se figurent-ils votre seul souhait : l’enrichissement de l’environnement, la qualité de l’esprit — votre unique volonté ? Se doutent-ils que vos efforts se concentrent sur vos enfants, et qu’en bons parents, justes et légitimes, vous vous assurez que votre progéniture goûte un apprentissage précoce dans les domaines les plus prometteurs et les plus nobles ? En élevant le degré de vos exigences, vous ne faites qu’apporter, les unes à la suite des autres, les preuves d’une attention et d’un enthousiasme profonds. En semant vos excellents ouvrages, en délivrant les valables pensées, en offrant des lectures à voix haute, en concourant à la construction d’une culture qui se veut aimable et digne, c’est à dire intéressante, diverse, fortifiante, lavée de toutes ses impuretés, bref, en proposant une éducation autre, en vous efforçant à leur parler, non comme à des tout-petits condamnés à l’ignorance aussi bien qu’à la médiocrité, mais comme à des enfants qui savent croître, à des êtres en mesure de s’élever, à des natures, à des hommes capables et méritant d’advenir, à la fois vous leur témoignez une certaine estime et un intérêt certain et leur rendez un considérable office. Et après cela voudra-t-on encore, jour après jour, par cette seule raison que d’aucuns osent sans discontinuer se promettre que les graines sur les tombes déposées germeront jamais, vous blâmer toujours ?

 

3

Engourdissement de la pensée. — Des individus sont installés en présence de nombres exceptionnels, de pièces musicales prodigieuses, de textes remarquables, d’oeuvres d’art accomplies, et l’activité électrique des deux hémisphères maintient son allure habituelle : faible, morne, presque plate… On s’étonne alors de ce que les nuances ne soient vues, la logique comprise, l’interprétation dégagée, la beauté embrassée ; de ce que l’hébétude puisse encore régner en présence de tant de mets rares et délicats, de tant de secrets, de tant de grandes réjouissances potentielles. La pieuvre enserre ses victimes en ses tentacules ; des limites si étroites contiennent les organes et les sens : immense et formidable, l’étau de la pensée commune, de l’excessive petitesse, de la mesquinerie sans bornes s’anime, comprime et n’aspire qu’à broyer puis engloutir — enclôt les petits jardinets si innocents, si pitoyables, épars et misérables.

 

4

Les passereaux. — « Qu’il nous ressemble étrangement ! Son sang est en toute certitude celui de notre camarade, de notre cousin, de notre frère ! » s’écrient quelques passereaux dans leur belle cage de fer… Mais, avec la suite, l’influence du milieu va décroissant, tandis que l’influence de la nature s’enfle : lors des jeunes années, tout semble groupé, identique, mêlé ; viennent l’âge et l’expérience, surgit l’éclatement de la formation, que dis-je ? de la viciation initiale, se disposent enfin les circonstances neuves, l’environnement sain, aux aptitudes innées le terreau conforme, et voilà, qui s’éveille, la personnalité fraîche, l’âme jadis rognée, le géant des airs, voici, en les vents clairs, en les couleurs gaies et légères, en les régions printanières, parmi l’altitude même, l’aurore développant ses ailes, la créature nouvelle, la sonorité puissante — l’éclatante naissance dans son plein envol.

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / Apola 

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Encres fluentes

Encres fluentes

9 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Encres fluentes. — L’encre de quelques auteurs coule, virevolte sans cesse ; chez eux, le style, la manière, mais aussi le fond, tout est aisance, mouvement continuel, changement permanent — jusques au pont de la forme et du sens, semblable au temps, en sa géométrie même, leur esprit devient… comme insaisissable.

 

2

Des myopies. — Autant que je sache, pour autant qu’il m’en souvienne, rien ne sert de s’évertuer pour corriger, quoi qu’il en coûte, les mœurs, les travers, les hommes. Car, si par des instruments il est possible de faire disparaître la myopie, d’autres troubles, bien plus profonds, réclament, quant à eux, des moyens à ce jour inconnus : une méthodologie, un processus, un traitement, une chirurgie encore inhumaine.

 

3

Cercle de badauds. — Qu’ont-ils tous à apprécier les scènes les plus quelconques, à ressentir de l’admiration pour tout ? D’où vient que tous s’attroupent, que les cercles se forment, que les vrais badauds existent ? Une idée est lancée, aussi étrangère que sotte, et les voilà qui déjà, le menton baissée et le font bien plat, montant sur leur âne, s’exaltant sur la raison défaillante et la personnalité superficielle, dans une généreuse ardeur, un élan bien niais, s’empressent de la suivre. Le manque de jugement erre par les bois, par la campagne, par les villes. Parmi la bassesse, le bois sacré des Muses est tout à fait délaissé. Les lèvres s’ouvrent, tant agiles, tant obstinées, fût-ce au-delà de l’intelligence, tant intrépides, tant ineptes également… Comment ces peuples se sont-ils adressés à la bêtise, à la sottise, au conformisme ridicule et rigoureux plutôt qu’à d’autres ?

 

4

Ramure du bonheur. — Il ne peut y avoir de chemin unique conduisant au bonheur, car, quand même des lois universelles gouverneraient l’attitude d’un certain nombre d’affects et de pensées, voire leur nature, chaque personnalité étant foncièrement très particulière, toute voie ne saurait qu’abriter des erreurs ou des inadaptations. C’est à l’individu qui a pris le temps de se connaître qu’il appartient, face à chaque alternative, de juger par lui-même si la branche des possibles où ils transportent ses pas est en accord avec son caractère ou non. Lui seul est en mesure de trancher, sans risquer en l’égarement de par trop tomber, la question de son appartenance au « conforme » ou au « difforme » de la voie qui veut ou qu’il laisse l’envelopper.

 

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / MarinaMariya 

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Méprise instinctive

Méprise instinctive

7 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Méprise instinctive. — Il ne s’agit, en l’occurence, que d’une méprise sur le sens qu’il convient de donner à une action, à une conviction, à un état. La pâleur de l’idée que l’on se fait communément de l’individu, la valeur conférée à l’homme en tant qu’homme, c’est à dire comme un bel animal « évolué », a toujours crû la main dans la main du dégoût de soi-même. Ses conceptions emplies d’images de pureté, de candeur, de vertus ont fini par constituer le terreau propice où plongent à présent les racines de l’opprobre jeté sur ses plus profonds instincts. Ce qui s’est produit n’est ni plus ni moins que la création d’un ciel d’hiver au teint blême, au-dessus des considérations actuelles, qu’une extraordinaire floraison maladive, qu’une dépréciation dans toutes les règles de la nature humaine, qu’une amputation et de sa gaîté foncière et de son innocence, avec, pour conséquence prompte et spontanée, une dégradation par degrés de la confiance et de l’estime portée à la vigueur, à la couleur, à la santé naturelle de la vie. Voyez si l’esprit se croit désormais distingué et fort élevé sitôt qu’il sème, qu’il couvre d’infamie ses pulsions, ses réactions immédiates, tout ce qui forme le soubassement et les fondations si spécifiques et si nécessaires de son espèce. Voyez à quel point il s’imagine escalader à vive allure les marches de la bonté et de la grandeur, de la vérité aussi bien que de la profondeur dès que par ses mains sont voués à la haine ainsi qu’au déshonneur extrême, public, le résultat d’années et d’années de mutations, l’aboutissement, en la lenteur et la joyeuse assurance, de toutes ces lentes et variées, de toutes ces inévitables transformations.

 

2

Honteuse et confuse

Et dans l’aube du jour vint une âme hardie,
Chantant, courant, qui clame une vérité neuve :
« J’appellerai Vertu toute chose bannie ;
Je nommerai Honte votre noblesse veuve. »

 

3

Valsez !

Valsez ! Toute danse soulage les misères ;
Blâmez ! Bien, bien inférieure est l’estime aisée.
Donnez ! En l’éloge les fils soignent leurs pères :
Si vous savez donner, vous ne pouvez léser !

 

4

Multiples représentations. — Esprit, qui toujours conçoit, invente et cherche, prends donc l’habitude de saisir le solide, le fluide, l’onde… une émotion, un sentiment, un penser ; observe cet objet quelconque, et tente de te le représenter de multiples façons. Ainsi, tu t’apercevras bientôt, en t’efforçant de l’enseigner à toi-même aussi bien qu’aux autres, que ce que ta vision embrasse dans l’instant s’éloigne sans arrêt de ce que tu t’imaginais jadis, lors de la rencontre initiale, et qu’à présent même, après d’innombrables points, lignes droites, surfaces courbes, force dessins, schémas, cartes mentales, après l’abondance d’images plates et de reliefs de tout ordre réalisés… après mainte et mainte transformation, caractérisation, explication, cette chose forme non pas la chose réelle mais uniquement une construction mentale plus ou moins précise, floue, possible — une fluctuation psychique bien modeste en pleine probabilité.

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / cienpies

 

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Se donner bonne conscience

Se donner bonne conscience

4 mai 2017 par Vincent PAYET

 

1

Se donner bonne conscience. — Nous autres surpris regardons aujourd’hui l’agir des puissants avec une vive sensation de piqûre dans l’oeil, une souffrance physique d’autant plus intense que la vue est meilleure, et sommes précisément en cela des étrangers pour ces âmes tyranniques, pour ces personnalités criminelles résidant à l’écart de l’empathie, du bon sens et du remords. Ces natures déréglées, sous l’influence de la colère, de la haine rentrée, de l’odieux, sous l’empire de l’inhumain, considèrent leurs propres manières et moyens au milieu d’une gaîté folle ; et parmi leurs consciences si tranquilles, très caractéristiques, elles entendent au même degré, c’est-à-dire pas grand-chose, leurs propres sentiments, leurs propres comportements et ceux d’autrui. Une fraîche, une claire cécité rend possible l’émergence d’une coloration des événements particulière, et cette dernière produit en quelque sorte un petit miracle : la possibilité d’assister aux spectacles du tourment qu’on fait souffrir sans se mettre l’esprit à la gêne, pis encore, en éprouvant un plaisir d’une vigueur toujours nouvelle et allant croissant — la vision de réjouissances réunissant mouvements, lois, réalités antiques impérieuses… vérités atrocement humaines, toutes ces scènes pour lesquelles bien d’autres animaux moins « supérieurs » ressentiraient vraisemblablement, eux, une forme d’indescriptible et puissant malaise.

 

2

Nature de la nature. — Vois ce qui se lève, enfle et tout autour de toi tourbillonne : soutient-il ton caractère ? lui est-il contraire ? Aspire-t-il à délivrer ton âme des rigueurs diverses ? ou bien à la presser jusqu’à totalement l’accabler ? Ces choses, agissent-elles comme une voile apprêtée, amène, amie, ou pareilles à des liens souverains fort invisibles et prodigieusement ennemis ? Car que le spécifique, l’original, le noble en soi parvienne à durer au sein d’un climat toujours hostile à ce qui s’écarte de la norme forme une des grandes difficultés et, par suite, l’une des belles tâches à entreprendre. Aussi est-il de la plus haute importance de bien sélectionner, de la même manière qu’au cours de toute promenade heureuse, le paysage où l’on souhaite porter ses pas ; aussi est-il si raisonnable de se poser la question de la faune et de la flore, de l’atmosphère, de la tonalité des chemins empruntés comme des destinations espérées. Sans doute tout ceci s’applique-t-il exclusivement aux âmes véritablement sensibles, celles éprouvant maints ennuis dès qu’il s’agit de ne point absorber constamment l’ensemble des impressions qui conspirent à baigner leurs pieds, cette grande variété de sentiments qui, en ondoyant sur la palette tant étonnante, tant imposante, hurle son plaisir fou d’envahir les surfaces, les consciences, les cœurs sous-jacents . Et assurément, de là découle le fait que le sage s’attache inévitablement à la recherche d’une sorte de milieu harmonieux : un sol, un peuple, une ère… une manière d’espace, de terre promise, de mer, — à la quête passionnée d’une nature qui réponde à sa propre nature.

 

3

Des tribus modernes. — « Ce sont des pitoyables, est-il encore permis d’en douter ? ces marchands d’orviétan, ces conteurs de fariboles aux quatre coins du monde, ces philistins accomplis formant une seule et vaste famille, mais ils veulent encore nous faire accroire que leurs discours leur viennent tout droit du tréfonds du cœur, que les verbes ne sont que vérité, entier désintéressement, Amour même ! et que notre scepticisme est par trop injustifié, que nos réactions ne sont qu’irritabilité excessive et déplacée, qu’ignorance qui s’ignore soi-même, en somme, autant d’obstacles à notre propre joie, à notre propre ravissement ! Voit-on comme tous ces coquins, ces méprisables vendeurs, ces fieffés menteurs ne s’adressent qu’à des foules de condition servile en vue de liquider leurs stocks bien sinistres ? Se figure-t-on combien sur la qualité de la marchandise les passants sont sans cesse adroitement trompés, combien toujours on abuse ? Les paroles s’enchaînent avec une troublante facilité, cependant que, daignant poser leurs regards sur les crânes de leurs tristes troupeaux, le menton droit comme un cierge, si fier, et le front sans ride, l’âme si à l’abri du scrupule, ils osent nommer cela partage, communauté bienfaisante, admirable, “belle et indispensable action en une belle et indispensable tribu”. »

 

 

 

 

Photo © iStockphoto.com / Lonely__

 

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