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Voyez ces humains, capables de presque tout ingérer et cultivant l’arrogante fierté !
N’est-il pas pour le moins curieux que la nourriture — pourtant si exceptionnelle, si essentielle — est un domaine banalisé à ce point ?
N’est-elle pas étonnante, cette Humanité, qui explore l’art et recherche la sagesse, qui se soucie de ses « aliments » spirituels, mais qui néglige tout ce que sa main saisit, tout ce que sa bouche absorbe ?
Cette étrange dame méconnaît l’art de bien se nourrir : les belles saveurs, l’alimentation saine et durable — la grande et profitable cuisine. Mais pour qui « mâche » et « digère » raisonnablement tout ce qui se présente à la langue de sa conscience, le doute n’est plus permis : il court une forme de mépris, de basse vanité d’espèce supérieure — une profonde négligence, une choquante indifférence quant à l’origine et la qualité des aliments.
D’aucuns répliqueront que dans l’art culinaire il s’opère la quête de l’excellence, une élévation dans la sphère du goût. Mais de quel « goût » parle-t-on réellement ? Du goût délicat, éclairé, des raffinements gastronomiques, ou bien du goût terre à terre des étages inférieurs du « palais » — des sous-sols obscurs, humides et fétides des sensations, des ressentis, de l’imagination ?
À ce sujet, le Dr Jane Goodall, primatologue, a co-écrit Nous sommes ce que nous mangeons1…
Mais qu’a-t-il à faire, ce « cerveau reptilien », de ces nuances, de ces subtilités, de ces raffinements intellectuels — de cette liberté quant au « bien manger » ?
Et quelle valeur peut bien receler tout cela lorsque le goût lui-même est dépravé, lorsque l’on voit, à chaque coin de rue et constamment, des âmes qui avalent la toxicité, la dépravation, la décadence — des gueules qui se nourrissent de misère, de morbidité, d’absurdité ?
Ô augustes gourmets ! que votre espèce est rare ! Ô esprits fins ! ô combien vous vous cachez !
En définitive, devons-nous parler de la nourriture d’humains « évolués », « doués » de raison et de sensibilité esthétique, responsables, ou alors, de l’alimentation d’autres animaux… d’animaux bien plus vulgaires, bien plus vils, — bien plus bêtes ?… Et me croira-t-on, lorsque je dirai que j’ai vu et que je vois encore notre cher Homme, « moderne »… lui, si fier et si sûr de sa vigueur, ingurgiter sans être rassasié toutes sortes de choses incroyables ?…
Le vaste estomac et les têtes folles engloutissent les galets, la terre, le poison, les substances avariées, les cadavres, les choses impossibles — me croira-t-on ?
- Goodall, Jane, Gary MacAvoy et Gail Hudson, Nous sommes ce que nous mangeons (coll. Babel, Actes Sud, 2008, 2005).
Les lecteurs souhaitant approfondir la notion d’« alimentation » de l’homme moderne peuvent aussi lire « L’alimentation de l’homme moderne » (ainsi que les notes associées), Friedrich Nietzsche, Aurore (Paris, GF-Flammarion, 2012), 155.
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