Que ne s’arrêtent-ils un instant afin de reprendre leur souffle ? Que ne peuvent-ils s’abstenir d’inonder les villes, de répandre le trouble, de prodiguer leur boue ? Que l’on examine les journaux, les télés, les livres, et que l’on constate ! Trop de mots sont utilisés. La langue humaine inonde le monde de paroles non pensées, de verbes incompris, d’entités malmenées ; le manque, hélas ! réside dans l’excès d’une substance rarement connue, encore moins maîtrisée ! Fréquemment, dans l’intention de ne pas laisser paraître — bien souvent sans qu’elle s’en rende compte — son incompréhension des phénomènes la cervelle brouillée use des termes les plus compliqués, s’imaginant qu’en passant par là elle approche ceux-ci ; mais, en vérité, c’est un éloignement croissant qu’elle gagne sans arrêt. Voir dans l’océan de la complexité les archipels, les îlots de simplicité, et être en mesure de les exprimer, voilà les éléments ordinairement absents. C’est ainsi que le vocabulaire freine davantage la réflexion qu’elle ne la stimule, perd davantage l’esprit qu’elle ne le soutient ; ainsi, qu’au sein des esprits divagants le réel est embrumé, au lieu d’être éclairci. Ah ! combien, dans l’état actuel des choses, l’individu saisit et sent peu ! et combien il ne semble point se résoudre à cesser ses persistants et exaspérants commentaires ! — alors même qu’il devrait, tout au contraire, réunir temps et forces en vue de comprendre et éprouver autrement, puis partir au plus vite à la recherche de ces mots rares et précieux confondant en eux les propriétés foncières, l’exactitude et la plénitude de ses expériences vécues… Devant ce panorama de l’esprit moderne, devant ce parfait désordre relativement clair, il semble permis d’énoncer la remarque suivante. La recherche des composants primordiaux des choses, des interprétations, des représentations intérieures… la quête des lois fondamentales, des vérités, de la simplicité, dans les têtes et au dehors… la volonté et le goût de la sensation pure, de l’idée intègre et de leur juste traduction dans le royaume de la forme, des lettres, du langage, ensemble sont autant de paramètres nécessaires à l’épanouissement scientifique, artistique, littéraire… — autant de conditions indispensables à l’appréhension, à la transmission et au développement harmonieux de cette singulière expérience que constitue au fond toute existence.
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