Combien d’erreurs ont été démasquées, et combien d’autres s’abritent encore dans les têtes ! Combien de pensées inconnues attendent patiemment, cachées, pareilles à ces pudiques beautés des champs, des rivières, des déserts, que leur élégance soit révélée ! Ah ! que Valery ne pouvait s’égarer lorsqu’il invoqua, à des fins d’intitulé d’ouvrages, le souverain terme Variété ; qu’il s’éloignait déjà des écueils de méprises élémentaires en parcourant sans aucune cesse les royaumes de la forme, de la structure, de l’architecture…, de la diversité, de la pureté, de la richesse… : le domaine de la grandeur des choses — que celles-ci appartiennent ou non à l’ordre de l’esprit, qu’elles soient ce que celui-ci s’imagine percevoir, ou bien cet esprit soi-même. — Les yeux actuels (ceux qui connaissent la vue), produisant leurs moyens, renforçant leur substance, atteignant des lignes de faîte toujours plus élevées en la puissance, plongent dans les vertiges d’une ignorance proportionnellement grandissante ; en quittant les découvertes et les régions éclairées, l’humain flotte immédiatement dans les intenses obscurités, en ces lieux singuliers, en ces inconnus inouïs, en ces insondables forêts. — Coeurs sensibles, corps semblables, mes amis, que la matière, l’espace, le temps, l’énergie sont des créatures si simples et si nébuleuses, tellement étranges, indiciblement charmantes ; qu’au milieu des mers quantiques, de leurs évènements innumérables et incertains, qu’au sein des tourbillons du réel — de ce réel qui est grains d’émergence, mouvements continuels, relations, systèmes, qui est nues de probabilités, mères qui enfantent — le poète est une émergence, une créature aussi nécessaire que spontanée ; et que cet enfant du monde se trouve dans son élément parmi les particules lumineuses, les lettres enchantées, ces hommes, ces femmes se quittant et se retrouvant, ces amants tantôt se déchirant, tantôt se mêlant — au milieu de cette fabuleuse grammaire fondamentale de la nature ! Oui, heureux qui sait encore accueillir le chant de Lucrèce — ces atomes et ces combinaisons, cet univers foisonnant, cette faune et cette flore prodigieuses —, la conscience laissant l’inestimable voix, les doux murmures, les semences divines vibrer, grandir et fleurir dans son cœur ; heureux les Werther et les Wilhelm ! ces âmes douées de sensibilité… capables d’accueillir les graines d’or les cœurs ouverts puis, à l’heure propice, de les cueillir ; heureuses donc mille fois, heureuses les personnalités qui s’épurent, ces sphères ivres d’infini, assoiffées de poésie, de mondes, de vérités ! Car à chaque coin d’espace et de temps s’apprêtent le charme secret et les vastes bienfaits ; car si proche est le son de la nature. — Mais seul celui qui ouvre la fenêtre de son logis est à même de goûter la mélodie des places et des siècles. Seul celui qui est et se fait le fin connaisseur en bonnes choses sait recevoir les ondes élégantes, palper les augustes cordes — est en mesure d’honorer la mystérieuse et sublime réalité.
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