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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Archives pour septembre 2016

Poète parmi la foule

Poète parmi la foule

23 septembre 2016 par Vincent PAYET

 

Voilà un esprit sain, voilà le jeune poète qui s’avance vers nous. Parmi la foule, il se figure pouvoir, dans la vérité des choses, trouver le repos. Il ne cesse d’approfondir son savoir, d’embellir sa pensée, de progresser dans la possession de son art. Par cette voie, en produisant sa matière, il entend devenir quelque chose, et peut-être même, si le sort est heureux, une manière de belle âme. Le jeune homme devient ce chanteur, ce danseur, ce voyant sur la ligne de faîte de ses virtualités : le prophète en cet improbable endroit, en cette demeure du vertige où les profondes aspirations émergent de la nuée des valeurs et rencontrent la mise en œuvre. Et cet être transformé désire enlacer avec tendresse les nouveaux mondes surgissant ; et cette étreinte est son souhait le plus cher — il a reconnu sa condition, il ose désormais devenir qui il est. Le voyant cheminer ainsi, devant l’étrangeté de ses manières, les langues hostiles qui l’entourent disent de lui qu’il est de ceux qui ne font que s’égarer dans les sentiers tortueux de l’existence, de ceux qui, s’imaginant marcher droit vers leur destin tant désiré, ne font que se retrouver bientôt au même point, sur cette ronde terre : celles qu’un puissant ressort n’expulse pas de leur logis, n’exile pas loin des régions familières, loin de la sécurité des habitudes se trouvent dans l’impossibilité de concevoir pareille attitude ; évidemment, tout ceci, le voyant ne l’ignore point, il laisse les enfants impolis barboter dans la verdâtre critique, au milieu de leurs purulentes aisances ; il se dit que c’est précisément là qu’ils sont et seront les plus joyeux, que ce n’est qu’en ces lieux que leur propre nature sait et saura les récompenser généreusement de leur fidélité. Le sage abandonne toutes ces petites considérations sur le bord de la route, et poursuit sa voie ; il est maintenant une certitude bien installée dans son esprit : là où il se veut rendre, peu voudront le suivre, quête de la vérité ainsi que sincérité ne sont point les substances les plus aimées ; par une suite logique, et sans nécessairement le souhaiter, il choquera — involontairement, il s’exposera aux opprobres des passants. Alors je vous le demande, à vous les dignes et remarquables observateurs : Pourrait-il agir autrement quand la représentation de la réalité réclame, pour se réaliser convenablement, ce que l’être possède de meilleur, quand la vraie parole, laquelle n’est pas toute pureté, impose, sans compromis, sa pleine expression ? Compagnons de solitude, il faudra bien que nous consentions un jour que toute conscience soit ce qu’elle est et fasse ce qu’elle sait et peut faire ! Ainsi, que l’honnête cultivateur continue de répandre la subsistance dans la bouche du peuple, le beau dédaigneux de vider son sac et que les artistes, les hommes de la connaissance résident dans leurs créations… continûment auprès de la nature. Ah ! si nous étions tous identiques, combien ces dernières pensées seraient vaines ! Mais nous ne le sommes point, et tout est pour le mieux !… Persévérons donc ensemble — dans nos directions singulières ! Et qu’on laisse le poète dire ces larmes, ces cris, tout ce qu’il n’est point en mesure de retenir ! tout en étant certains qu’en tant que frère il nous aime et nous plaint, bien qu’en tant que juge et demi-dieu il nous blâme et nous condamne.

 

Photo © iStockphoto.com / eugeneivanov

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Instruire la jeunesse

Instruire la jeunesse

22 septembre 2016 par Vincent PAYET

 

Il est une scène étonnante, qu’il faudrait se représenter bien davantage. Un bel enfant assis dans l’herbe heureuse ; il regarde vers le ciel, dessinant, sur les nuages changeants ainsi que sur la voûte aimable, des êtres, des choses… une variété de formes : celles de son esprit. Arrive, tel un orage au galop, sa mère, ou bien est-ce son père ; la créature toute bête ordonne que l’imagination se taise immédiatement : « Cesse donc ces bagatelles, lance-t-elle dans un éclair de solennité, n’emploieras-tu jamais tes heures autrement ?! Et dans le futur, ce bien tellement précieux, ton temps, t’échineras-tu à le perdre toujours et encore !… » ; et le mômillon, arraché de ses rêves par la violence des furieuses mains, par le formidable forceps, par cette intervention d’une indélicatesse inouïe, par les fers ! ne s’y étant préparé, est troublé : c’est que troublé, il peut l’être tout à fait ; car cette personne qui lui est extrêmement chère l’a perdu — et tous deux l’ignorent. « Baisse les yeux, ton nez, les bras, vois ceci ! poursuit la voix parentale, il s’agit d’une table sur laquelle sont profondément gravées les vases dans lesquelles tu te devras de verser toute ton attention, tous tes désirs, l’ensemble de tes énergies ; en le faisant, crois-moi, tu seras on ne peut plus heureux mon bon garçon, mon petit amour, mon trésor » ; et celui-ci de répondre, dans une manière d’instinct : « Mais… » ; et l’adulte de l’interrompre aussi promptement : « Ta place est parmi l’obéissance ! » Alors les jeunes yeux courent pour se réfugier dans l’amollissement ; alors, tout en lui conspire à l’assombrissement, et la volonté, fissurée, décline dans la chute ; la clarté auparavant omniprésente s’effondre ; le cœur de l’étoile reste sans voies, stupéfait, abandonné par ses propres réactions ; la toile bleue, éclairée autrefois par la présence de rieuses entités, se dissipe jusqu’à la complète nuit ; un nouveau monde, glacé, rempli de structures nettes, solides, implacables gagne le jour, et s’érige sur les ruines encore fumantes ; et bientôt l’histoire est oubliée, et bientôt la conscience s’immobilise parmi les rangs : plus rien ne dépasse le crâne, à l’intérieur ni à l’extérieur ; la froideur a vaincu ; la différence, la saillie, le relief est comme foudroyé — c’est le calme plat, l’oeuvre achevée… et l’on s’en réjouit. En ce moment singulier, mère comme père connaissent le bonheur ; et, heureux comme ils le sont, comment ne pas l’être ? eux qui ont terrassé la dispersion des idées, tracé une route sûre et utile pour leur tant aimé ! route sur laquelle les minuscules pieds, devenus adultes, avancent tout confiants désormais. — Lorsqu’il est question d’éducation, certaines pensées sont, pour l’ordinaire, affreusement absentes : évoquons simplement la liberté de l’esprit, la valeur de l’imagination, l’importance non seulement des réponses, mais même des questions, etc. Ici, considérables sont les précieuses considérations mises de côté. Mais conçoit-on que ce ne fut jamais une activité superficielle que de nourrir sa conscience de multiples images, de sensations variées, de perceptions composées… d’entités toutes personnelles… de ses héros puissants… de ses possessions de haute valeur ; que de créer des décors, des personnages, des intrigues perpétuellement émergents, constamment renouvelés, sur cette scène anciennement vibrante d’émerveillement ; que de communiquer tant de robustesse, de richesses, de possibilités et d’espoirs à ce théâtre qui resplendissait ; et que de… ? — Ainsi, comment pourrions-nous, placés face à une telle vision, fuir l’insupportable ? Chaque « éducateur » agissant selon ses souhaits, comment ne pas se pétrifier devant un tel état de choses ; devant toutes ces portes qui se ferment jour après jour dans les petites têtes du globe ; devant tous ces mondes de promesses, ces nouveau-nés anéantis par les langues terriblement coupables ; devant ces anneaux métalliques accrochés aux chevilles des filles et des garçons de tous pays, et répandant jusqu’au sommet la restriction, la soumission, la fatalité… ? Mais où donc s’origine cette curieuse croyance que le développement bénéfique est celui qui permet de rejoindre le plus grand nombre, de flotter dans le bassin des conventions, d’exulter dans le chaudron mugissant qu’est toute société ? Et pourquoi cet aveuglement si tenace dans la conception de parents, d’enseignants, de proches si concernés et si sincères dans leur amour ? Pourquoi une folie soutenue à ce point, au sein de groupes humains qui auraient pourtant tellement à récolter de graines supérieurement émancipées ? Car il ne faut point chercher à s’étourdir sans arrêt : ce sont des victimes en puissance qui sont en tous lieux semés, et dont dans la joie la plus consommée on concourt au succès. — Et plus la victime que l’on aspire à « former » — et il y a là déformation du noble terme, puisqu’il y a altération, puisque évidente est la déformation de la personnalité naissante — est-elle faible et crédule, plus sommes-nous, nous autres les observateurs laissés tout ahuris, dans l’obligation d’assister aux cruels spectacles, à ces phénomènes si habituels et pourtant si bouleversants ; plus devons-nous lutter afin de ne point nous évanouir… de douleur, d’indignation et d’horreur. Ah ! les misérables ! Ô les inconscients ! — qui émettent leur rire ignorant quand nous laissons échapper un pauvre cri, quand nous sentons les feuilles de nos cœurs jaunir en même temps que tous ces printemps périr !… — Ciel ! Un amas de fossoyeurs sur les rêves, les virtualités, les belles et fraîches âmes !… Ciel ! Une fosse commune creusée dans l’avenir !… — La fossoyeuse sur notre jeunesse !

 

Photo © iStockphoto.com / Choreograph

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Généalogie de l’ignorance

Généalogie de l’ignorance

21 septembre 2016 par Vincent PAYET

 

L’humain réalise désormais que, même armé d’un instrument aussi puissant que la science, il doit, face à son ignorance ne pas baisser la tête et habiter la modestie. Car après avoir tant été à la dérive, et être finalement parvenu à rejoindre l’île magnifique, il est forcé de reconnaître qu’au fur et à mesure que celle-ci grandit, les éruptions volcaniques agissant : le savoir produisant le savoir, c’est l’océan tout autour qui lui aussi s’élargit. La connaissance ultime, sur les ailes des lois cosmiques, plongeant son regard malicieux dans les yeux de l’homme, — à une vitesse défiant même celle de la lumière s’éloigne de ses compétences. Et, si le scientisme était une illusion légitime il y a peu, y déposer ses plus fiers espoirs aujourd’hui confine au ridicule. Certes, il peut toujours continuer à rechercher la loi parfaite qui rendrait compte du tout, mais n’est-ce point là un espoir animé par une folie supplémentaire qui s’opère alors ? Pour le saisir, il n’est pas inutile de prendre du recul par rapport à notre supposé savoir et de projeter le film de la généalogie de l’ignorance : quatre siècles plus tôt, a eu lieu la naissance de la science moderne lorsqu’elle a pris conscience de son ignorance ; puis la nouvelle-née s’est fortifiée et bientôt après, s’est sentie capable de tout vaincre, même sa pire ennemie ; plus tard, atteignant sa « maturité », elle a enfanté sa propre ignorance ; enfin, à notre époque, dans un monde où les divers champs de la connaissance commencent à se croiser, c’est de la bouche des volcans de la complexité que des îlots d’ignorance émergent en formant des chapelets innombrables1. — Nous manquons sans cesse de savoir, mais, n’est-ce point déjà une belle avancée que de justement le savoir ?! En effet, y a-t-il plus grande ignorance que l’ignorance qui s’ignore soi-même, que l’ignorance de l’ignorance ? Les limites de la compréhension sont bien réelles, et probablement fort sous-évaluées, mais ce sont elles-mêmes qui poussent le curieux bipède à s’élever, à s’amender, à se dépasser. Savoir que l’on ne sait pas, n’est-ce pas déjà le début d’une petite victoire ? — Et, parce que nos succès ne seraient que minuscules, nous devrions, résignés à notre sort au sein de l’épais voile, ne plus nous aventurer au-delà de nos terres, de nos frontières, — par-delà nos mers et nos horizons actuels ?

 

  1. L’idée de « généalogie de l’ignorance » est née en partie à la lecture de « Pourquoi on ne saura jamais », Science & Vie, juillet 2016.

     

Photo © iStockphoto.com / PrettyVectors

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La vérité, toute la vérité, rien que la vérité

La vérité, toute la vérité, rien que la vérité

20 septembre 2016 par Vincent PAYET

 

Pourrions-nous être remplis de trop d’admiration devant l’individu consacrant sa vie à l’art et à la science, cette personnalité à l’écart de l’ordinaire qui fuit les concepts philosophiques douteux, se soucie des objets de l’esprit les plus remarquables, les plus raffinés, achevés, et s’efforce vers le parfait développement de son talent et de sa noble activité ; cet être qui, sans relâche, épure son fonds et ennoblit la forme ; qui, jamais, ne laisse la lourde main de la Peur enfermer sa parole intérieure dans l’excès de précautions, de prudence, dans une situation sociale étouffante… toujours, refuse que cette voix intime demeure en cet état lui interdisant de faire valoir ses terres, ces domaines de pousses libres, d’eaux spontanées, de vents gais, ces lieux où les mots ne craignent jamais de heurter, de chavirer, d’emporter, où le verbe ne sait pas même se courber et réprimer sa puissance naturelle, où celui-ci ne meurt point à petit feu par la raison que sa nature est privée d’oxygène et se trouve dans l’incapacité de s’éprouver, de s’élever, de s’exprimer ; qui, comme esprit libre, doit céder au jaillissement de ce qui le dévore, vomir sa lave, tout ce qu’il sait, et ce, comme s’il était le seul humain sur Terre, comme s’il ignorait jusqu’au risque, et dans la pleine conscience de ceci, que le vrai péril loge chez le silence forcé ; qui, en qualité de poète, considère l’Homme avec un profond mépris à la fois vaincu et enveloppé de bienveillance, et lui dit ses vérités tout en souriant ; — devant, finalement, la conscience s’évertuant à fouler le sol des vérités du moment (las ! trop actuelles !), à les dévoiler, à les partager… ? — À cette lourde question, je réponds dans l’évidence même : « Cela ne saurait être cru ! » ; — mais, innombrables seront ceux qui, je ne crois pas me tromper, s’en chargeront…

 

Photo © iStockphoto.com / Karmina83

 

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Deux sortes de rêveries

Deux sortes de rêveries

19 septembre 2016 par Vincent PAYET

Nul phénomène ne saurait différer davantage des authentiques rêveries que les ersatz de notre époque. À l’alcool, aux comprimés, aux drogues, aux divertissements et consommations de tout ordre a été confiée la mission de délivrer de l’ennui constant, de la misère quotidienne, de l’habituelle condition. C’est que l’esprit ne parvient plus à rêver ; ce loisir, de son fait, s’en est allé. Il a désappris la valeur même des idées déliées, l’utilité de l’absence de contrôle, l’envoûtement du monde des pensées. Et le voilà qui, pauvre voilier pris à l’intérieur de l’épaisse nuit, dérive dans je ne sais quel état morbide ; dans une zone où, semble-t-il, chaque sujet, ne buvant plus à la claire fontaine de l’imaginaire, dépérit en engloutissant des eaux impropres… ; en cette source, où l’être ne connaît plus la possibilité de se désaltérer, ne rencontre plus l’occasion de se former ; dans ce liquide acide, et vaste comme une gueule, au sein duquel toute conscience vient se faire dévorer — s’appauvrir, se désagréger… se décomposer. Que se passe-t-il ? — Plutôt que de s’abandonner aux aimables rêveries la conscience s’est laissé aller aux pernicieuses chimères. Sans doute pensait-elle que les deux sources confondaient leurs eaux…

 

 

Photo © iStockphoto.com / jamesteohart

 

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Le doute philosophique

Le doute philosophique

18 septembre 2016 par Vincent PAYET

Qu’il s’agisse de la nature du temps, de l’espace et de la matière ; de gravité quantique à boucles ou de cordes ; qu’il s’agisse de la capacité ou de l’incapacité de l’intelligence à tendre vers une connaissance toujours plus claire, toujours plus sûre, pure ; qu’il s’agisse de saisir et les profondeurs de l’infiniment petit et les abysses des régions infinies ; qu’il s’agisse de se représenter le cosmos, ainsi que sa propre « place » en celui-ci ; qu’il s’agisse d’approcher le réel, d’appréhender l’essence des choses et, dès lors, d’embrasser une connaissance de soi autrement complète ; qu’il s’agisse de la question du Hasard, de sa puissance, de cette sorte de reconnaissance du roi, de ces probabilités au cœur de tout atome, ou bien d’un déterminisme inconnu et comme supérieur ; qu’il s’agisse de la lutte incessante entre la science et la religion, de leurs cocasses retrouvailles et de leurs vives séparations, — combien d’autres mystères encore ? — le doute méthodique de Descartes, l’attitude de Pyrrhon, le doute philosophique, en somme cette grande et saine « maladie du doute », anime, renforce, élève les âmes vigoureuses, excitables et aventureuses de tous pays, ces audacieuses navigatrices, nos nouveaux « argonautes de l’esprit », et transforme toute existence en une     « fête de l’intellect » constante, en une perpétuelle célébration du « gai savoir ». Remarquons qu’ici, comme pour ce qui concerne le subjonctif résidant au début de la phrase précédente et son logis, cette étrange structure répondant au fier nom de subordonnée complétive conjonctive suivie par la deuxième partie de la phrase, à chaque interrogation humaine, le degré de vérité de l’événement est pour ainsi dire continûment reporté à une date ultérieure. C’est que la Certitude, de même que la Vérité, est une manière de beauté éternelle invariablement fuyante, ce je ne sais quoi qui, de tout temps, a séduit les hommes, et qui, n’en doutons pas, pour peu que ces derniers se donnent les moyens de leur propre survie, continuera de le faire. Devant tout ceci, persévérons donc dans l’étonnement ! dans l’éclatement des fausses opinions, dans l’étonnement de la voûte ! Oh ! j’allais oublier cher lecteur. Si, en faisant mille gambades avec ma pensée il survient que tu te dis, à part toi : ses propos semblaient clairs, puis soudainement ils se sont obscurcis, sache que moi aussi je poursuivais un lièvre sur le sentier, une suite d’images, de sensations qui s’étaient assemblées, une forme fort bien dessinée ; « une vérité, une certitude ! » m’écriais-je ; — mais elle s’enfonça dans le taillis fourré ! Sache qu’en ces moments, je me mets, également, à douter de moi-même… — que nous doutons ensemble !…

 

 

Photo © iStockphoto.com / rodnikovay

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L’éclairage le moins favorable

L’éclairage le moins favorable

18 septembre 2016 par Vincent PAYET

 

1. L’éclairage le moins favorable

Le tableau de la nature, chez l’esprit éduqué, tout préparé, bien disposé, s’offre continuellement à son ravissement. Mais ordinairement, l’insuffisance dans le développement du goût, la décadence au sein même de l’humeur, bref, la lumière projetée des consciences, et sous laquelle est examinée la peinture des choses, se trouve altérée, dénaturée. Ce qui fait défaut n’est point la qualité du spectacle s’étalant devant les hommes, c’est la qualité de la lampe l’éclairant dans les ténèbres ; et las ! que celle-ci, bien souvent, a pour effet de renforcer l’intensité de ces dernières ! Alors les ondes noirâtres, après avoir envahi la magnifique œuvre, la plus célèbre et la plus précieuse, comme un furieux reflux gagnent les yeux indignes, inondent les mares fangeuses, et enfin submergent les âmes impures.

 

 

2. Véritable patrie.

Tu jettes des regards désespérés en tous sens, pose tes pieds essoufflés dans des zones bien limitées. Il me semble cependant, — et dans le cas contraire je te prie de me détromper — que tu cherches des communautés de sensations, de sentiments, de caractères ; une communauté de culture, de cœur, d’âme ; des personnes autres — des êtres dont l’esprit pourrait accueillir ton cœur singulier… Eh bien, les choses étant ce qu’elles sont, observe maintenant davantage autour de toi ! Et si, l’alentour, par l’absence t’impose son accablante présence, élargis ton horizon !… Recommence ta quête à l’intérieur de villes différentes, de pays nouveaux, de lieux jusqu’ici inconnus, âme riche en beauté et en grandeur, charmant esprit, existence esseulée, et ne laisse pas même les époques constituer autour de toi des frontières infranchissables ! Dans le domaine des affinités électives, — de la sympathie, de l’harmonie, de la symphonie, — tes compagnons de voyage peuvent parler d’autres langues, il te faut le savoir, et certains habiter des siècles séparés, étrangers, et n’en être pas moins les mains données les plus propres à ton réconfort, à ton secours : n’en être pas moins un commerce inestimable, tes amis les plus proches, ta patrie véritable… ta véritable patrie.

 

 

Photo © iStockphoto.com / borojoint

 

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