Combien d’individus perçoivent les vastes et innombrables imperfections dans la loi ? Qui sont ceux qui marchant à l’écart de celle-ci ressentent pourtant le caractère juste, nécessaire, essentiel de leurs actions ? « Si je brûle un feu rouge pour empêcher de mitrailler un groupe de gens, ce n’est pas un acte illégal, mais de l’assistance à personne en danger ; aucun juge sain d’esprit ne m’inculpera. Ce que les autorités d’État définissent comme de la désobéissance civile1 est un comportement légal, obligatoire, qui viole les commandements de l’État, légaux ou non. On doit donc être prudent lorsqu’on parle de choses illégales2 », affirme Chomsky. S’opposer aux institutions légales est souvent indispensable, fréquemment un comportement fondé, constamment, quoi qu’on en pense et quoi qu’on en dise, une urgence. Évidemment, l’homme, au stade actuel de développement n’est pas en mesure de se passer de la loi ; évidemment, dans de nombreuses situations, elle défend et représente certaines des qualités humaines les plus nobles. Les lois idéales, une société idéale, tous deux sont par trop inaccessibles pour cet être au dernier point ignorant et lui aussi imparfait qu’est l’étrange bipède. Pourtant, existe-t-il un choix meilleur que de tendre vers un profond amendement de ses systèmes sociétaux et juridiques ? La créature peut-elle raisonnablement désirer autre chose que cela ? La notion de justice est encadrée par celle de la légalité, et il faut, obéissant à un concept de la première plus élevé, plus sûr, plus digne, l’imposer aux États, à la police, aux multinationales, au pouvoir hiératique. Dès le moment où les lois n’évoquent plus les valeurs hautes, le bon sens, la maturité, dès qu’il y a atteinte à l’intégrité des personnes, massacre de la dignité, honte au sein même des sentiments moraux fondamentaux, la vraie justice réclame que l’on s’en écarte par l’indifférence et par la résistance, et ce, même si l’on doit passer pour idiots, insensés ou criminels. Ce dont tout ceci a besoin pour germer ? De dépasser les stades « conventionnels » (selon le développement moral de Kohlberg3), où les consciences visent à satisfaire le groupe d’appartenance puis la société, à maintenir la règle, les conventions, les normes, les lois, pour parvenir aux stades « postconventionnels », où la notion de « semblables », de bienfaits mutuels, les principes éthiques universels apparaissent véritablement ; durant ce processus, l’idée et, plus important encore, le sentiment de fraternité, de solidarité remplit les cœurs et les esprits : l’individu n’obéit alors plus à une influence externe mais à un mouvement, une exigence intérieure. Il est primordial que chacun réfléchisse sur l’ensemble de ces principes qui en lui régissent sa propre définition du bien et du mal afin qu’émerge une moralité différente, davantage complexe, autre, que naisse une existence émancipée des conceptions morales surannées, qu’une évolution des cultures dans des terres différentes, à des degrés neufs se produisent — des paliers s’étirant avec délice « par-delà le Bien et le Mal4 »… En vue d’une pensée et d’actes propulsés par l’empathie, la responsabilité personnelle, la conscience de soi, et préservés des pressions extérieures. En vue de personnalités remplaçant les valeurs culturelles d’aujourd’hui, et établissant leur propre système de valeurs. En vue du stade « méta-éthique » de Kohlberg, et d’un développement psychique empruntant des chemins proches de ceux déjà tracés depuis de nombreuses années par Dabrowski5, à cette exception que cette transformation psychologique ne devra hésiter à plonger ses racines dans les « bons » sentiments éthiques déjà présents dans les gènes, ne devra donc rejeter la vision d’une éthique ascendante, la « vision de la morale “venue d’en bas6” » (Frans de Waal).
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« On parle de “désobéissance civile” lorsque des citoyens, mus par des motivations éthiques, transgressent délibérément, de manière publique, concertée et non violente, une loi en vigueur, pour exercer une pression visant à faire abroger ou amender ladite loi par le législateur (désobéissance civile directe) ou à faire changer une décision politique prise par le pouvoir exécutif (désobéissance civile indirecte). » Christian MELLON, « DÉSOBÉISSANCE CIVILE », Encyclopædia Universalis, disponible sur
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Noam Chomsky et Michel Foucault, Sur la nature humaine (Bruxelles, Les éditions Aden, 2006), 60.
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Pour une explication simple en ce qui concerne les idées de Lawrence Kohlberg, cf. « LE DÉVELOPPEMENT MORAL », Le cerveau à tous les niveaux !, disponible sur
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_09/i_09_s/i_09_s_dev/i_09_s_dev.html.
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Cf. la théorie dite théorie de la désintégration positive de Kazimierz Dabrowski, en consultant par exemple Robert Zaborowski, « Kazimierz Dabrowski – l’homme et son œuvre », Académie Polonaise des Sciences, disponible sur :
www.academie-polonaise.org/pl/images/stories/pliki/PDF/Roczniki/R9/zaborowski.pdf.
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Frans de Waal, Le bonobo, Dieu et nous [e-book] (Éditions Les Liens qui Libèrent, 2013), empl. 4183.
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