1. Danse au sein d’une plaie.
Toujours, les mêmes pensées dansent dans la tête des êtres. Quelle est la nature du réel ? Et celle-ci aux mortels est-elle parfaitement accessible ?… La limitation des sens, des instruments, de la perception… l’insuffisance de l’intelligence… l’essence même de la mécanique quantique… les mirages gravitationnels, les possibles mirages topologiques font vaciller le jugement, la fierté, la hauteur, la stabilité de l’esprit humain. C’est que, il faut bien l’admettre, toutes ces distorsions, altérations, restrictions, imperfections, incertitudes, tous ces infinis sont nombreux ! et puissants ! et « réellement » perturbants ! « Réel voilé » (Bernard d’Espagnat), « univers chiffonné » (J.-P. Luminet), « réalité cachée » (B. Greene)…, tous ces jolis petits monstres, ces pays bizarres, ces merveilleux mondes tourbillonnent élégamment et semblent s’éloigner à chaque fois davantage, tels des fugitifs endiablés, à mesure que l’entendement s’acharne et paraît avancer. L’illusion a jusqu’ici terrifié plus d’une âme, mais quel nombre ! ayant également goûté ses vapeurs enivrantes ! La conscience de ces choses, toute époque considérée, a continûment transformé certains individus en « chercheurs » : de lois, d’entités ; de trésors, de secrets. Ces âmes hardies sont reconnaissables à leur volonté élevée, à leur curiosité sans bornes, et à leur confiance ; elles conservent sans relâche l’espoir qu’à force de développement, d’approfondissement, d’élévation, leur main rejoindra le corps de l’étrange créature, de l’inexprimable réalité, — qu’avec temps et efforts leurs doigts finiront par retrouver cette pince jadis insaisissable : par réunir les deux lèvres de la plaie ; la plaie, — leur singulière condition…
2. Naissance du nouveau monde.
Tout en lui semblait vouloir déborder, mais contre lui-même il ne cessait de lutter, bravant les pressions, les forces, ses énergies les plus intimes. Mais un jour, l’ensemble interne surpassa la totalité de la résistance extérieure, et le monde sembla, pour ces autres qui n’y étaient préparés, de même qu’à ses propres yeux d’ailleurs, comme surgir du néant : répandant sa substance et ses phénomènes sur les objets environnants, communiant avec le vivant et l’inerte, le concret et l’abstrait, l’humain et l’inhumain, embrassant dans un même mouvement le ciel sans fin et les profondeurs de la terre, sympathisant avec l’infiniment grand et l’infiniment petit… Déjà la créature complètement transfigurée se mit à flotter au-dessus de la furieuse substance, de la soupe spumeuse, à courir dans la propriété surélevée des plus prodigieuses conceptions : à rejoindre sa patrie trop longtemps ignorée — le pays de l’immuable, de l’ineffable, de la sublimité. Les passants se figuraient qu’il se désintéressait d’autrui, mais comme ils se méprenaient ! On le voyait s’enfoncer dans la distance, quand il se mêlait, avec une intensité croissante, au ballet immense ; disparaître dans son univers, quand il ne faisait que les rallier… Que rallier le tout…
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