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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Archives pour juillet 2016

Dans les profondeurs sous-marines

Dans les profondeurs sous-marines

8 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

La carrière. — Les beaux costumes, les corsets se meuvent en tous sens, et cependant l’existence, prisonnière des tissus étriqués, est comprimée : on l’enserre, on l’accable, on l’étouffe. Ils ne l’ont pas comprise, ces êtres qui n’ont pas su l’accompagner, la chérir, ces consciences qui ne se sont pas débarrasser à temps des idées préconçues, ces corps « né[s] pour faire une carrière et non pas une vie » (G. Bernanos). Et maintenant, parvenus à son terme, ce sont les maux, les ressentiments, le manque qui les assiègent.

 

2

La condition. — Ton but, la tâche, ta tâche, celle que tu te dois de remplir, n’appartient à l’ensemble des objets pouvant être choisis. Non, elle te tombe dessus, comme la lumière descend brusquement du ciel par une nuit d’orage, et saisit l’arbre dans un moment inouï de vérité. Elle t’est imposée. C’est seulement par elle, et en elle, que ton âme se dévoile et grandit. Elle est la condition de ta croissance, de ton développement — son accomplissement est ton déploiement.

 

3

Les enveloppes. — Les esprits marchent pour la plupart sous leur grosse et dure enveloppe. Lui, songe à des créatures sans paupières, sans peau, sans cheveux, le crâne ouvert, regardant la voûte étoilée se mêlant véritablement au monde, s’écoulant en lui et recevant celui-ci. Il voit, entre les hommes et, entre l’homme et la nature, des murs, des barrières, des frontières s’effritant puis s’effondrant, une pensée s’ouvrant, des cœurs se libérant, des consciences enlaçant matière et rayonnement, êtres et choses, — éprouvant les phénomènes. Il ressent l’expérience qu’il serait possible de partager, s’il n’y avait les entraves, les préjugés, les idées fausses : il sent l’intensité, la vie, sans la distance, au plus près, là, à peine à côté… ici, chez lui.

 

4

Le misanthrope. — « Mais quelle espèce de misanthrope êtes-vous donc, monsieur ! » — Ce n’est pourtant pas que j’abhorre les hommes : c’est que, voyez-vous, ils sont… si rares !

 

5

Degrés dans l’erreur. — A : Te rends-tu compte à quel point tu te trompes ? — B : Je crois que c’est bien davantage toi, qui ne réalises, — combien tu as raison !

 

6

Indigestion mentale. — Certains esprits, pourtant de qualité, sont tels ces albatros de l’île Midway : ils avalent toutes sortes de choses, les prenant pour leur nourriture naturelle… Et meurent, faute de pouvoir les évacuer.

 

7

La merde. — Michel Rocard, évoquant le domaine de la politique, lance ces paroles : « Il ne peut pas émerger de véritables talents. Pour surnager, il ne faut s’occuper que de tactique. Il ne faut s’occuper que de l’accessoire, la merde, et non pas acquérir des savoirs nouveaux et s’occuper du long terme1. » En effet, l’observation rigoureuse ne permet pas la contradiction ; et, ajoutons ceci : est-ce si différent, lorsque l’on considère les autres champs de la connaissance, les autres « affaires » humaines ?…

 

8

Dans les profondeurs sous-marines. — Où sont les explorateurs hardis, ceux dont la tête se nourrit de l’ivresse des profondeurs, ose avaler l’obscurité des grands fonds, ces créatures des ténèbres glissant dans les abîmes retirés, lointains, perdus, et qui, de temps à autre, pratiquent la « migration verticale2 » vers les habitants de la terre, pour se désaltérer à leur simple présence ? Les espaces nuageux, vagues, ces immensités d’eau, abritent des natures que l’on n’a jamais vues, innombrables, riches, lumineuses ! Certains individus, simplement agacés par leurs congénères se préparent à plonger. Mais qu’ils prennent garde ! ces potentiels argonautes de l’être, et s’assurent : que leur force soit à la hauteur, que leur submersible soit adapté au poids qui se rapproche en bramant, à cette informe masse liquide qui n’aspire qu’à les réduire, les détruire, les perdre, à cette augmentation graduelle et menaçante de la pression psychique ! Au cours de leur descente, des bancs d’âmes, apercevant des ombres au loin,       « des horribles poissons », selon leurs mots, tombent sur le terrible effroi, lequel rend ces mystérieux « animaux » encore davantage monstrueux ! Et les voilà, déjà, qui courent en sens inverse ! fuyant les sombres régions ! sombrant à l’envers ! — On pense, habituellement, que les fonds marins sont inhabitables, par trop hostiles pour le commun des mortels. La vie, cependant, la vraie, ne semble pouvoir nager que dans les eaux insondables, à l’abri de la lumière artificielle, des bruits incessants, de l’agitation stérile du dehors. Il est, en définitive, dans l’océan de la conscience, deux sortes d’océanographes : ceux qui s’intéressent à la           « vie » au plus proche de la surface ; et ceux qui s’intéressent à celle du tréfonds…

 

  1. Michel Rocard, « Le vrai leadership, c’est fini », Le 1, mercredi 06 juillet 2016.

  2. Richard Hamblyn (historien anglais de l’environnement), « La première ivresse des profondeurs », Books, juillet-août 2016. Article paru dans la London Review of Books le 3 novembre 2005 et traduit par Philippe Babo.

     

 

Photo © iStockphoto.com / imagospot

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Des chandelles qui s’éteignent

Des chandelles qui s’éteignent

7 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

L’art véritable. — Comment tous ces peuples pourraient-ils accueillir une multitude innombrable d’artistes s’ils ne peuvent vivre en dehors de l’hypocrisie et de la fourberie ? S’ils ne savent ni ne peuvent habiter l’entière sincérité de leur âme ? Comment ? Ne sait-on pas que parmi les matériaux fondamentaux de l’art véritable, est la sincérité du créateur ?

 

2

Les nomades. — Connaît-on suffisamment ces êtres singuliers, ceux qui déclarent sans rencontrer l’hésitation : « Mon essence, dans le vaste domaine des choses de l’esprit, s’exprime en nomade. Mon lieu de naissance s’est évanoui, mon pays n’est plus, je suis chez moi… nulle part, et partout » ?

 

3

Collision d’astres. — « Que cherches-tu ici, dans l’écriture ? » — La collision de deux émotions, la parole qui « croise le plaisir et la souffrance, la violence de la vie et la beauté de l’art1 » (Delon).

 

4

Thérapie moderne. — Ce qu’attendent le corps et l’esprit de nos malades ? — La venue des étranges prescriptions : celles de pensées lumineuses, prudentes, raisonnables. Ces idées qui donnent de la clarté aux visages, aux esprits, aux chemins, qui réchauffent, qui accompagnent, qui guident : des ondes joyeuses, fortes, hautes — une luminothérapie nouvelle !

 

5

Ceux qui ont le plus besoin de lumière. — Quels sont ces lieux dont le délabrement, l’obscurité, l’état nécessite les rayons guérisseurs ? Les âmes illuminées… Ces places autour desquelles, ne cessent de se remuer, dans un silence trompeur, les croque-morts transportant des consciences vidées de leurs habitants distingués… Ces royaumes menaçant ruine, ces palais fissurés, — ces crânes s’assombrissant.

 

6

Fusible. — La matière de l’esprit est un métal particulièrement fusible. C’est pourquoi les hommes sont bien souvent facilement tentés de se fondre dans la masse. Ainsi, en tenant compte des conditions actuelles, il est aisé d’affirmer sans trop risquer de se tromper, que le conformisme est l’évolution la plus probable pour les sphères de plomb.

 

7

Le lustre. — Il écrit quelques lignes, s’appelle lui-même Monsieur l’écrivain, et se croit, de fait, brillant, sublime, — remarquable ! Comme l’écrit Paul Valéry, « dépouillons l’écrivain du lustre que lui conserve encore la tradition » !

 

8

En sûreté. — Il sillonnait les contrées reculées, à la quête d’auteurs ne fuyant pas les mots, de doigts capables de supporter le poids du verbe, d’êtres sur qui il pouvait compter : ces personnalités ayant une prodigieuse sûreté de main. Et parfois ils les trouvaient. Ce que ses yeux souhaitaient du fond du cœur ? Apercevoir, dans la joie du navigateur assistant à l’émergence de la terre dans le lointain, l’assurance d’un organe, d’une aptitude… la fermeté du goût… la noble sûreté de jugement.

 

9

Des chandelles qui s’éteignent. — Les aspirations, les murmures, les rêves, les espoirs qui ne sont pas alimentés, qui sont oubliés, exilés, meurent insensiblement, telles ces chandelles s’éteignant, presque à l’insu de tous, en raison du manque d’oxygène, dans et par le sinistre silence, sous les coups de la négligence — asphyxiées. L’existence, avec ce qu’elle comporte d’essentiel, ne vaut-elle pas davantage de considération, de soins, d’efforts : le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

 

  1. Michel Delon (professeur à la Sorbonne), « La place de la littérature », Revue des deux mondes, avril 2016.

     

 

Photo © iStockphoto.com / lightkitegirl

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La petite porte et le gardien

La petite porte et le gardien

6 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

Injustice cosmique. — Nous pouvons, et ce serait fort légitime, être profondément jaloux de la nature. Elle, possède, en ce qui concerne la puissance, l’excellence, l’élégance, des myriades de quasars disséminés dans son sein, l’éclairant de l’intérieur ; mais, quant à nous autres, les sociétés humaines, forcées de nous tourner vers l’extérieur, où se cachent-ils, nos corps brillants, nos esprits prodigieux — nos lumières rares ?

 

2

Ombre et lumière. — Une explosion… des bâtiments et des cœurs déchirés… des familles entières dévastées par les flammes — voilà de quoi est capable l’esprit humain. Puissent les bougies allumées, ces lumières dansant dignement pour des mânes toujours trop jeunes, éclairer toutes ses régions troublées : ces ombres délaissées, ces plis et ces replis torturés, ces coins sombres abandonnés.

 

3

Bâtisseurs de réalité. — Pourquoi devrais-tu être le maître en ta propre conscience ? Parce que c’est le seul moyen efficace dont tu disposes afin de créer, pour toi-même, un monde salubre, durable, vivable. Et n’ayant pas d’autre choix que de construire par tes mains ta réalité, érige-la au moins avec patience, lucidité, et goût !

 

4

La petite porte et le gardien. — En étant attentif, on voit, chez son voisin, entrer et sortir par la petite porte des saints, des brigands, des fous, des sages… Le salon et la grande table accueillent tout au long de la journée, et au cours de toutes celles qui suivent, leurs illustres invités, et parfois la troupe se forme : tant de monde dans un même lieu et en même temps ! Parmi ce vacarme, la présence de l’entrée est oubliée ; ainsi que le rôle primordial du gardien. — L’individu tolère le chaos dans sa propre maison ; et il s’étonne de l’instabilité, de l’insécurité, de l’intranquillité qui habitent sa vie ! Et c’est baignant dans la furieuse tourmente et la sévère incapacité, qu’il regarde cette forme étrange et inconnue, son existence, la bête hideuse grossir devant lui.

 

 

Photo © iStockphoto.com / bestdesigns

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Noir attentat

Noir attentat

5 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

Chymification. — Qui prend encore le temps, et a la capacité, de transformer en bouillie alimentaire la nourriture ingérée par son esprit ? Qui donc fait appel aux indispensables enzymes ? Qui enfin pratique la noble digestion, la grande chymification ?

 

2

Pour pouvoir parler d’indicibilité. — Combien ont le droit d’employer le mot indicible. J’entends, de qui peut-on dire : « Cet individu est parvenu à une telle maîtrise de la langue, une telle puissance de la pensée, une telle profondeur dans l’imagination, habite une telle intensité que je conçois bien et accepte sans difficulté lorsqu’il annonce : “Ce que je vois, ce que je ressens, ce que je forme dans mon esprit, tout cela appartient à l’indicible” » ? Combien donc ?…

 

3

Conseil de voyageur. — Contre la niaiserie humaine ? Les protections auditives, et visuelles : les bouchons et les masques… Afin de pouvoir vivre, quand les autres dorment.

 

4

Noir attentat. — Des entreprises criminelles sont commises contre l’esprit, contre la sûreté des valeurs les plus belles. Les tyrans impitoyables, ces amants de la nuit, ces vents de l’intérieur hurlent, invisibles : ils grouillent au fond des grottes humides et profondes, des cavités obscures et désertées. C’est là, dans ces régions réunissant les conditions favorables, que les idées sombres grandissent, que les fruits infernaux, les fruits du « mal », mûrissent. On a laissé la folie s’épanouir, et par des graines sans nombre répandues sur le globe, c’est un œil noir qui, désormais, sur l’humanité pose ses rayons enfumés. Laissera-t-on ces ondes tristes, ces meurtrières hâler nos campagnes ? Permettra-t-on à l’égarement de dévaster le jardin ? L’invitera-t-on même à poser ses bagages, à nous tenir longuement compagnie, à s’installer confortablement dans le fauteuil étriqué de notre cerveau ? — En définitive, l’homme frappera-t-il la terre de son front devant le sceptre monstrueux des tempêtes enragées ?

 

5

Émotions et sentiments. — Tu te crois doué, toi, l’animal social, pour détecter mes émotions. Mais essaye donc de percer plus avant le voile, essaye tes forces pour voir : éprouve ton impudence ainsi que ta fatuité, et constate ; puis informe-moi quand tu seras en mesure de découvrir mes sentiments !…

 

6

Les deux scènes et la valeur. — La grande valeur du travail de l’artiste réside, principalement, dans l’exposition même de sa conscience nue, devant les yeux du public. Des sentiments humblement dévoilés, les formes et le fond de la scène la plus intime et la plus secrète, se déployant sur la scène publique, et cette tension — dus à cette transition qui s’opère et au jugement d’autrui qui approche —, presque insupportable : permettre que l’on crache sur son cœur, et, encore davantage, que l’on admire la hideur du spectacle, — tout ceci n’est pas accessible à toute âme. Aussi, comme souvent, l’unique, l’authentique, l’héroïque — créent la valeur.

 

Photo © iStockphoto.com / prozone235

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De la marche

De la marche

4 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

De la marche. — Onde légère, entité harmonieuse qui court sur les terres. Trajectoire fluctuante, insaisissable, libre. État modifié de conscience où l’on « perd » sa raison, où les concepts, les préjugés, les interprétations s’évanouissent : monde de forme, d’ombre, de lumière… monde de sensations — pure expérience.

 

2

Solitaire accompagné. — On s’imagine qu’il poursuit sa course seul, dans l’éther sombre. Mais l’astre singulier n’arpente l’existence qu’environné du nombreux cortège des étoiles les plus songeuses, des consciences les plus lumineuses.

 

3

État d’esprit d’athlète. — Elle tente de suivre le mouvement des idées, le galop de l’esprit humain. C’est pour cela que, sans cesse, jour après jour, la petite conscience renforce ses membres, se développe, — accélère la marche.

 

4

Âme conquérante. — La volonté impérieuse avance d’un pas sûr, progresse vers son idéal, les frontières renoncent au combat, se courbent, et cèdent : elles cèdent à la force, à la nécessité — elles cèdent la victoire.

 

5

Coordination et orientation. — Hisse tes exigences, vogue sur tes voies propres ! Ne laissant pas tes pieds se disperser, aide ta jeune âme, à la lumière de ta nature, à se diriger en les chemins de ta vérité !

 

6

Choix de randonneur. — Tu peux porter ton regard sur la cime, et grimper ; ou bien, le plonger, le laisser rouler dans la vallée encaissée : le laisser dégringoler au fond de la combe, au fond du ravin — le pousser vers la tombe.

 

7

Être, en bonnes mains. — Comme l’on est bien souvent bien plus seul au milieu de la foule que parmi nos solitudes ! Combien cet « État » — du solitaire, du songeur, du contemplatif, du sage à l’écart et « bienveillant, content de peu, sans aigreur contre les hommes et sans rancune contre le ciel » (Maupassant) — me soutient, me berce… adoucit ma peine, mon ennui, mon humeur… m’adoucit, — me rend plus supportable à moi-même ! Ses mains délicates et accueillantes, avec leurs attentions infinies — ces refuges de profondeur, de pensées fécondes, de remèdes — sont les seules qui me supportent, les seules capables de soulever ma lourdeur, de m’élever : ce sont mes vraies amies. C’est avec elles et en elles, que je caresse ma tristesse et me réjouis de cette bonne fortune ! — que j’éprouve la vie et patiente gaiement.

 

 

Photo © iStockphoto.com / LongQuattro

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Sublime fierté

Sublime fierté

3 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

Avoir de l’oreille. — A : À qui s’adresse ce que tu écris. — B : À tous ceux qui, lorsque je pianote sur les touches, m’entendent !

 

2

La question alimentaire. — Nous devrions tous, lire à table ; et nous sustenter dans notre bibliothèque…

 

3

Impersonnel. — Existences bien vidées, débarrassées de leur substance originale, de toute âme, neutres, froides — impersonnelles. Portraits accrochés, encadrés, dépersonnalisés — société-objet.

 

4

Rire fou. — Rions, mes amis ! De notre propre ignorance, de notre propre folie, de nous-mêmes ! Et de celle des autres ignorant la leur !

 

5

Les habitudes. — Les mauvaises habitudes1, accusent toutes les imperfections de la vie ; les meilleures, les atténuent.

 

6

Évolution fatale d’idées fausses. — La déraison sereinement creuse la fosse commune. Le voile rouge, le voile de la mort, le drap violet peu à peu s’enroulent autour de l’esprit. Tout s’agite ; la fossoyeuse semble ne pas connaître le repos. « Et ce cimetière de vivants préfigurait celui où ils finiraient par se rejoindre tous2 »…

 

7

Sublime fierté. — Un homme d’une grande sagesse passant devant un individu éploré s’arrête, et lui dis : « Soutiens ton courage par une sublime fierté. Te fuit-elle ? Retiens-la donc ! Tu t’en crois incapable ? Fables que tout cela ! Ne sais-tu point qu’elle est un droit qu’il te faut éprouver, une victoire que tu te dois d’aller chercher ? Quoi ! Te laisseras-tu charmer et emporter par cette erreur qui t’incite à la délaisser ? » Se débattant dans ses larmes, l’esprit égaré, l’âme troublée le prend pour un fou. Après quelques moments, le considérant en silence, sans pitié mais tendrement, le « fou » poursuit : « Mais puisque mes paroles ont si peu d’effets, puisqu’à ma vue tu formes tant d’images déformées, fais donc ce que tu crois avoir à faire, et lorsque tu seras fatigué de toi-même, reprends ta route, ou bien, suis ta folie, encense ta mollesse et ne la reprends pas… »

 

8

Ce qui ne dépend pas de nous. — De ta vie même, peu s’en soucient ? Qu’importe ? Si c’est cela qu’ils désirent, eh bien, soit ! Ton cœur à mieux à faire que de dilapider son énergie en recherches incessantes d’adhésion, d’attention, d’amour. Ne sois pas assez détraqué pour percer ton inestimable vitalité, pour plonger dans ta force de vie même ta cruelle et perfide épée. Ainsi, aux être qui t’ignorent, aux choses qui, quoi que tu fasses, ne changent pas, aux phénomènes ne dépendant pas de toi, que ne consacres-tu le temps qui convient ?…

 

  1. « Une douce habitude vient émousser toutes les peines de la vie » (Stendhal).

  2. François Mauriac.

     

Photo © iStockphoto.com / AdrianHillman

 

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Guérison d’une fausse croyance

Guérison d’une fausse croyance

2 juillet 2016 par Vincent PAYET

1

Guérison d’une fausse croyance. — Je ne souhaite pas qu’un malheur me tombe sur la tête, je dois donc emprunter ces voies spécifiques : le motif. Il ne faut, à cette fin, sous aucun prétexte, que je m’éloigne de ces chemins tracés ; les lignes droites, phosphorescentes sont mes bouées, mes glissières de sécurité, mes plus valables boucliers : le mythe. Ma croyance se fortifie de jour en jour, la chimère m’entoure de ses puissantes serres ; peu à peu je perds pied, je perds terre ; dans une forme de démence sous-évaluée, ô combien ! certainement, je sombre ; à mon insu c’est le plus effroyable des malheurs que, sur ma tête j’ai invité à se poser : la réalité. — L’ami charitable est ce thérapeute qui, muni de la plus grande persévérance, est là pour confronter l’esprit perdu et les faits, pour l’emmener vers le réel, vers la vérité, laquelle diffère fondamentalement à ce moment précis de celle de la victime. Lorsque celle-ci se rend compte de l’importance du décalage, elle comprend alors l’incohérence. Cette compréhension nouvelle permet la venue du doute et encourage la réflexion salvatrice, l’introspection, l’attitude de remise en cause des convictions ancrées : le « long travail de rétro-analyse de ses doutes1 » (Dounia Bouzar, anthropologue). — Certains systèmes de pensée asservissent les volontés à la certitude toute-puissante. Mais cette entité n’est qu’un leurre ; sa force n’est considérable que parce que justement, on l’alimente d’une manière constante, que parce qu’on la veut ainsi ! Et voici la vérité ! Là où le doute meurt, la déraison s’installe, la proie s’expose, la folie persiste. — Perdrix rouges, ayez donc foi ! En vous-mêmes ! Dans votre raison !

 

  1. Cf. Dounia Bouzar, « La science de la manipulation », La Recherche, avril 2016.

     

2

Constructions nouvelles. — Les mains agitées s’emploient à rénover certaines constructions mentales. On tente de soutenir telle partie abîmée, de repeindre telle autre, de remplacer à certains endroits des éléments par des matériaux neufs. Ne sait-on pas qu’il est des édifices ayant par trop durer — abritant désormais dans leur propre nature des plaies, des vices inguérissables, dans leurs gènes des expressions futures non profitables —, des structures qui, afin de se transformer, de s’améliorer, d’évoluer vers une configuration et une composition meilleures, tant du point de vue de leur forme que de leur fond donc, vers des habitations royales, viriles, des châteaux éthérés, ne réclament qu’une seule chose : la démolition totale, le dépérissement, la décadence, la chute — la ruine ?

 

3

Involution. — À l’intérieur de ce grand marché généralisé, où l’homme fait commerce de tout, les nobles valeurs sont sacrifiées, telles des marchandises de rebut. Par et en ses transactions, ses « échanges » insensés, l’humain liquide ce qu’il possède de meilleur. — Une auscultation révèle la présence du signe pathognomonique à la décadence, au déclin. En effet, existe-t-il signe plus clair d’une dégradation, d’une humanité qui entre des précipices marche sur la tête, que cette inversion des valeurs, que cette situation dans laquelle les sociétés foulent aux pieds tout ce qui devrait pourtant leur tenir le plus à cœur et leur importer, tout ce qu’il y a de plus sacré ? Existe-t-il plus vive illustration, selon les classifications d’un psychiatre cosmique, d’une parfaite régression des nations dans leur cheminement, leur développement, leur progrès ? Somme toute, existe-t-il créature plus folle que celle qui, à chacun de ses pas, et comme pour jalonner davantage son évolution, son involution, piétine et enfonce son esprit même, jusqu’à l’enterrer totalement — définitivement ? — C’est dans un silence de deuil, que l’oeil sensible assiste à la procession des caravanes qui partent se perdre dans le désert. Et c’est le visage inondé de sueur, le regard accablé de chaleur, la conscience plongée dans la stupeur, qu’il éprouve, l’âme brunie, les étendues sablonneuses, les riches héritières… les cimetières bien munis.

 

4

Le sage et le savant. — A : Hier, j’ai eu l’honneur de m’entretenir longuement avec un être d’une prodigieuse érudition, un vrai savant. Ah ! quel sage homme ! — B : J’ai rencontré, il y a peu, un esprit de modeste famille qui, n’ayant pas, dans son grenier, accumulé d’innombrables tas d’informations poussiéreuses, était pourtant bien plus prudent, raisonnable, réfléchi que la plupart des hommes se disant amis de la connaissance, de la vérité. — Lui, n’avait pas désappris à penser par lui-même.

 

Photo © iStockphoto.com / vadimmmus

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