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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Archives pour juillet 2016

Méprise anthropocentrique

Méprise anthropocentrique

23 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. Les presque humains.

Autrefois, on considérait les hommes comme formant une unité parfaite à l’intérieur de leur genre. On examinait les bébés, les adultes, les personnes d’un certain âge, et se disait :             « Quelle vaste famille, cohérente et liée ! » On ignorait encore l’artiste, son intelligence, son empathie, son altruisme. Parfois des êtres étranges étaient vus certes, mais on ne soupçonnait la profondeur de leurs différences, l’ampleur de la rupture. Dans les classifications régnait toujours l’erreur… jusqu’à ce que l’on comprit qu’il y avait bel et bien deux espèces au sein du genre homo…

 

2. Rires dans la foule.

Les individus particulièrement sensibles passent ordinairement de nos jours pour naïfs, idéalistes, rêveurs, inadaptés, quand ce ne sont des moutons noirs, des brebis galeuses, des vilains petits canards. En ce qui me concerne, je vois des bonobos négligés, des dodos annihilés, des albatros moqués. Toutefois, je les sens les magnifiques oiseaux, les « prince[s] des nuées qui hante[nt] la tempête et se ri[ent] de l’archer » (C. Baudelaire). — Oh ! je les sens qui s’accroissent !

 

3. Méprise anthropocentrique.

N’est-elle pas particulièrement étonnante cette façon qu’ont les hommes de s’imaginer être le centre de référence de l’univers, son entité centrale la plus importante, la plus marquante ? Est-ce autre chose que risible, cette attitude consistant à ne conférer de la valeur à la réalité qu’à travers les grosses lunettes humaines ? Comment ? Les oeuvres des géants Mikołaj Kopernik, Galileo Galilei et Charles Darwin (entre autres) n’ont-elles donc point permis à ce singe attachant de saisir plus amplement la nature de sa place dans le cosmos ?!

 

4. L’infatué.

Toutes ces découvertes scientifiques ne t’ont point enseigné la modestie ? — Dans tes veines coulent les caractéristiques du primate social ; cependant tu persistes à te comporter en infatué !

 

5. Danse avec les loups.

Dans les postes qu’ils occupent, les fonctions exercées, leur rapport aux autres, ils ne cessent de toujours viser plus haut. Pourtant, quelle valeur revêt l’attitude de ces personnages n’observant qu’eux-mêmes, ne cherchant point, ce faisant, à developper leur soi, à l’enrichir, à l’épanouir ? Quel intérêt peut-on trouver à l’autorité pure de l’homme sur l’homme, au rapetissement d’autrui, à la compétition malsaine : à l’assouvissement de cette pulsion de domination — à entrer dans la danse puérile, superficielle et affreusement nocive de cette société froide et hiérarchique ? Serait-ce trop demander qu’ils visent ailleurs — j’entends d’autres cibles, moins médiocres, d’autres degrés, d’autres valeurs sur des échelles… nouvelles ?

 

6. Indépassable.

— A : Je fuis les autres ; tu comprends, ils m’ennuient tellement, m’excèdent tant, que cela devient douloureux — insupportable. — B : C’est pourtant là, au milieu des âmes siphonnées, que se manifeste un spectacle d’un comique indépassable : la pièce de théâtre — l’inouï dans son genre… « Ce caquetage, qui m’insupportait autrefois, m’est agréable » (Goncourt) : j’ai appris à détecter et goûter le sublime en toute chose, à, suivant la pensée de Csikszentmihalyi, quérir en tout lieux et temps les « expériences optimales » !

 

Photo © iStockphoto.com / den-belitsky

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Anastasie ou l’Autocensure

Anastasie ou l’Autocensure

22 juillet 2016 par Vincent PAYET

Les terres de la liberté d’expression voient arriver en masse les tribunaux et leurs juges, et pendant ce temps dans les galeries souterraines courent l’autocensure ; au milieu de cette chaleur suffocante, le mirage de la libre parole réapparaît. Certaines oreilles ne savent entendre et, malheureusement, tolérer, certaines vérités ainsi que leurs auteurs : les âmes dérangeantes, les déviants. Il n’y a qu’à observer : partout, des autorités de toutes natures, l’opinion publique, le politiquement correct, le conformisme, en somme, partout — Anastasie1 tenant ses grands ciseaux. Prison, mort en cas d’insulte, de divergence, d’« écart insupportable »… Lorsque des paroles « méritent » de tels châtiments, et même lorsque les peines sont moindres, ce que les grosses voix prononcent est simplement ceci : « Ne parlez plus, ne chuchotez plus ! Dans vos têtes, les murmures aussi doivent se soumettre, votre pensée doit se taire ! » La force des idées est si considérable que dès qu’elles sont critiquées, on croit y distinguer une offense à des personnes : ce ne sont plus des représentations mentales qui sont considérées, mais de nouveaux êtres, des personnes naissant après une curieuse métamorphose. Dans ce contexte, il est ô combien raisonnable de se poser la question de savoir si les lois sont faites pour assurer l’intégrité des individus, ou bien pour servir de bouclier et, fréquemment, de glaive aux conceptions diverses, c’est-à-dire si on les construit en vue de défendre l’homme, ou l’idée ? Au nom de la dignité, de la paix publique, de la lutte contre la haine, de la société démocratique, on massacre cela même qui contribue à l’humanité et à la salubrité. On détruit l’esprit de la démocratie en voulant la protéger ! A-t-on conscience qu’en définitive, ce qui est concerné, c’est la liberté de conscience, la liberté de penser ? « S’il serait fou de croire que la liberté d’expression peut être totale, il n’est pas moins insensé de penser que la judiciarisation à la fois pressante et erratique de la parole qui est en cours n’implique pas une police du langage d’un tout nouveau genre2 […] », écrit Anastasia Colosimo. — Au-dessus des magnifiques champs l’épandage se poursuit, infatigable ; les substances liberticides, en tonnes, en pluies torrentielles s’abattent jour et nuit. Les pousses libres, aspergées, inondées, assommées, chancellent comme une sublime femme ivre, et se débattent dans la misère. Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que les eaux noires du mutisme ramollissent intégralement les corps et les âmes. À moins que l’on n’assiste à la naissance de grands législateurs. À moins que l’on ne prenne encore le temps malgré l’urgence de réfléchir profondément sur l’esprit des lois.

 

  1. Nom donné à la censure.

  2. Anastasia Colosimo, Les bûchers de la liberté [e-book] (Éditions Stock, 2016), empl. 2626-2634.

     

 

Photo © iStockphoto.com / EduardGurevich

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La liberté guidant le peuple

La liberté guidant le peuple

21 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. La liberté guidant le peuple.

Ce n’est pas ta dignité que je désire toucher, ton âme que je souhaite abaisser, mais tes grandes et belles idées, tes convictions, tes représentations, tes illusions. Et tu te sens personnellement attaqué ?! Ô répression ! ô choc des civilisation ! ô déclin mugissant ! Ô liberté d’expression ! où t’en vas-tu courir en ces temps incertains, en cette époque d’hallucination, de démence ? Les esprits sont enfermés dans des cellules, parce qu’ils sapent — on y croit — la cohésion de l’ensemble, mettent, répète-t-on, « en péril le bien commun ». Mais celui-ci possède-t-il réellement ce visage ? Le pense-t-on sérieusement ? L’a-t-on jamais véritablement reconnu ? En souhaitant tout protéger, les peuples construisent des lois qui les compriment peu à peu, jusqu’à la suffocation. Le péril s’allonge, tout menace, et, dans le sein même des sociétés il se prépare à frapper : en plein cœur, en pleine crise. Il est un malaise enflant, un malaise qui, suivant A. Colosimo, « étrangle la laïcité1 ». La peur — toujours elle —, sous l’effet de l’intimidation croissante, dans l’inconscient — ou bien utilisée consciemment et sournoisement — ne cesse de grossir, des vents nouveaux et malsains soufflent dans ses pauvres voiles. — Les hommes ont toujours essayer, pour saisir la réalité des choses, de se raconter des histoires. Toutefois, comment l’humanité pourrait-elle poursuivre son étonnant récit, si, à peine sortis de sa bouche les mots sont arrêtés et emprisonnés ? La crise de la liberté d’expression est une crise planétaire : encore une fois, la « crise de l’esprit » (P. Valery) vient hanter le présent des nations ainsi que leur avenir qui se dessine, avenir déjà bien assombri. Quoi ! Dans un tel contexte on ne trouve pas davantage de consciences s’enquérant du terme « Liberté » de la devise de la République française ! se rendant compte à quel point cet idéal de liberté persiste dans son éloignement des rivages, des pays, du réel ! Assurément, les lois façonnent les cultures, les sociétés ; cependant comme pour la plupart des entités essentielles, on les forment sans réfléchir, dans la précipitation. Le blasphêmia2 abrite en lui, vraisemblablement, toutes sortes de choses, moins bonnes, mais aussi bonnes ; pour autant, souhaite-on vraiment le condamner tout à fait : perdre ce droit ? Comment, n’est-il pas envisageable qu’il soit perçu comme une substance dangereuse, mais combien essentielle ? Le futur sera donc bâti dès aujourd’hui à l’aide de pierres autres : oeuvrera-t-on à la persistance des démocraties d’apparences ? A-t-on oublié Eugène Delacroix, le souvenir s’est-il perdu en chemin, emportant avec lui l’image de « La Liberté guidant le peuple3 » ? Ah ! à peine plus d’un siècle a suffit pour que déjà dans les esprits le beau drapeau s’éloigne, la forme floue s’estompe : une toile se déchire, un arbre soit calciné, une fumée s’échappe. — Une flamme purifiante penseront d’aucuns. — Et des primes — colossales — sont offertes à tous ceux qui voudront danser autour d’elle.

 

2. Justice retardée.

On t’a offensé ? Résiste ! Permets à ton crachat, en se mêlant à et un temps supplémentaire et une encre bien noire, de lentement mûrir, de patiemment s’embellir — puis avec force de jaillir !

 

  1. Anastasia Colosimo, Les bûchers de la liberté [e-book] (Éditions Stock, 2016), empl. 23.

  2. Du grec, « médisance, calomnie » (Ac. 1992).

  1. Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830). Musée du Louvre, disponible sur

    www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-28-juillet-la-liberte-guidant-le-peuple.

     

 

Photo © iStockphoto.com / dvoriankin

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Mèmes, culture et société complexe

Mèmes, culture et société complexe

20 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. Les délirants.

Un accès de forte fièvre, ou bien une multitude d’autres causes peuvent occasionner un grand trouble, être à l’origine du « délire ». Mais parfois les sources sont plus subtiles. À l’intérieur de nos cultures, le phénomène est omniprésent, quoique largement ignoré : je ne sache personne qui puisse déclarer n’avoir à aucun moment observé dans son environnement proche cette déformation, cette « distorsion profonde de la relation avec le monde environnant, avec croyance inébranlable à une réalité imaginaire, fondée sur des hallucinations, des interprétations incorrectes ou des concepts privés de toute référence à la réalité1 » (Ac. 1992). C’est avec tout cela en tête qu’il faut entendre les paroles de Boris Cyrulnik : « Les délirants disent toujours qu’il faut être fou pour ne pas voir ce qu’ils voient. Les seuls à avoir des certitudes sont les délirants. L’évidence est certainement le plus grand piège de la pensée. Dès l’instant où quelqu’un doute, il me rassure2… » De fait, tous les domaines de la réflexion sont peuplés d’individus ayant « perdu » la raison ; en outre, l’affirmation selon laquelle la démence même à chaque virage guette, tel un fauve attendant patiemment sa proie, l’esprit le plus sage tend vers l’évidence ! S’il est une seule chose à propos de laquelle il devient déraisonnable de douter ? Que sur ses propres terres la folie prospère. Qu’actuellement la maladie prolifère !

 

2. Prétention punie.

Tu te penses comme choisi, privilégié, exceptionnel ?! Attends donc ! Une légère impulsion du sort, une petite chiquenaude de sa part… Un événement considérablement insignifiant pour le cosmos : une pandémie, une météorite… Nous verrons bien alors, où seront passés les petits prétentieux ! — les épiphénomènes !

 

3. Congélation et bouillonnement.

La doctrine, qu’elle soit de nature philosophique, politique, morale, etc., est un ordre pur, une « congélation générale3 » (E. Morin), une méprise totale, tandis que la théorie, est un chaos bouillonnant plus ou moins organisé, une erreur partielle. La première, est absence de mouvement, engourdissement, altération du mécanisme évolutif ; la seconde, un changement perpétuel, une stabilité temporaire, — une illusion qui se sait fausse, qui apprend à se construire ainsi qu’à se connaître soi-même, et qui se corrige. — L’une se trouve façonnée à l’image de la vie, l’autre de la mort.

 

4. Mèmes, culture et société complexe.

Il est tout aussi absurde d’affirmer que chaque innovation contribue à un authentique progrès que de s’opposer systématiquement aux émergences créatives les plus étranges, voire les plus effrayantes. Chaque élément culturel inédit, chaque idée absorbée par les sociétés, transporte en son sein aussi bien des enfants formidables que des monstres sans nom, les forces de vie les plus belles et les crimes on ne peut plus abominables : des constructions et des destructions actuelles ou potentielles. Il semble certain que les créations doivent être jugées selon leur teneur en nobles ingrédients — par exemple le sens de la communauté, le sentiment de solidarité, la vision d’un avenir « habitable »… —, et ce, si la mise en œuvre de l’idée de   « société complexe4 » (au sens de E. Morin) est souhaitée. — Et même : si la notion de durabilité est réellement désirée.

 

  1. « DÉLIRE », Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition.

  2. Boris Cyrulnik et Edgar Morin, Dialogue sur la nature humaine (Coll. l’Aube poche essai, Éditions de l’Aube, 2010), 46.

  1. « Le désordre pur, c’est la dissolution générale, l’ordre pur, c’est la congélation générale… » Ibid., p. 54.

  2. « C’est une société, aux contraintes très faibles, où les individus et les groupes auraient beaucoup d’autonomie et d’initiative. » Ibid., p. 55.

     

 

Photo © iStockphoto.com / johnstiles40

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Doctrine et théorie

Doctrine et théorie

19 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. Doctrine et théorie.

La panse enflée, les peuples, oubliant de penser, se gavent de doctrines, et se méfient des théories. C’est que les premières — alors que les preuves abondent quant à leur caractère contraire à la vérité, à la réalité — rassurent, nourrissent les besoins et les désirs, soulagent les frustrations — sont considérées comme l’espoir même, le remède. Toutefois, ce sont, suivant Morin, les secondes que l’humain devrait choisir de fréquenter1. Il est impératif que l’on se préserve, et se défasse, lorsque les circonstances le réclament, de cette soif aveugle et immodérée de certitude absolue. Le substrat des choses est — du moins au palier de l’intelligence où l’espèce réside actuellement — l’incertitude même. En effet, sur et dans chaque objet semble mugir le souffle impétueux des vents de l’inconnu, de l’étranger, du mystère. Hélas ! l’homme est toujours ce petit animal apeuré tout juste sorti de sa grotte : au milieu de la jungle, croyant apercevoir des apparences invraisemblables, des ombres terrifiantes, face à sa prodigieuse ignorance et à ses propres créations, son cœur s’accélère… les monstres se rapprochent : il n’aspire déjà plus qu’à se défendre ! Et le voilà éperdu, brandissant son arme « défensive », déclenchant ses mécanismes de défense — et voici : le mythe, l’hallucination, l’aveuglement.

 

2. Libérez la morale.

Tu t’émerveilles devant les fruits de la morale. Tu lèves alors les yeux et, ébloui par le soleil, tu envoies dans le silence des espaces infinis tes vagues de remerciements pour ces magnifiques présents. Pourtant l’arbre et ses racines ne sont pas si éloignés, mais plutôt au plus proche de toi ! Ils croissent en ta poitrine, en ton sang, en ton ADN… au sein de la biologie, au sein de l’évolution ! À l’origine, l’ensemble était autrement plus pur, mais tu as altéré sa constitution, corrompu la frondaison, jeter la honte sur ses beaux fondements. Quand donc, homme, redresseras-tu la tête, à l’intérieur de toi-même ! Quand cette terre verra-t-elle une humanité à l’écoute de toute preuve, découvrant sa propre humanité — cette dame dont l’âge est bien fréquemment sous-évalué —, non pas à l’extérieur, mais en elle-même ? — Quand émergeront enfin de la vaste ramure de l’évolution des êtres effectivement libres ?

 

3. Empathie et altruisme, chez quelques-uns.

Les preuves d’empathie et d’altruisme chez les animaux s’entassent par milliers ? « Que nous importe ! » — La cruauté n’ayant pas d’yeux, d’oreilles et de cœur, les victimes n’ont pas fini de pleurer, de hurler… de se vider. C’est certain : « Il faut bien survivre » ! — Décidément, il faut encore se le dire : ce singe, est fort singulier.

 

  1. « En fait, je pense que nous devrions vivre avec des théories et non pas des doctrines, c’est-à-dire des idées auxquelles nous croyons mais dont nous n’avons pas la certitude absolue. » Boris Cyrulnik et Edgar Morin, Dialogue sur la nature humaine (Coll. l’Aube poche essai, Éditions de l’Aube, 2010), 42.

     

 

Photo © iStockphoto.com / Leyla_Siyanova

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Les imprimeries

Les imprimeries

18 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. Sculpture psychique.

La substance de tes douleurs, de tes joies, de tes sentiments, de tes pensées dépend de la configuration que tu laisses prendre à tes structures neurales. La forme et le fond, tous deux sont fondamentaux, tout comme la qualité et l’aspect de la matière résultant des doigts du sculpteur.

 

2. Fluidité et entropie.

Il ne pourchasse pas la souffrance, le pénible, la misère ; mais, lorsque les circonstances les lui imposent, il s’efforce de les traverser au sein d’une bulle solide, résistante, et fluide. Il se préserve de la dispersion de ses énergies, de ses forces de vie, du désordre. Son esprit ne lutte pas ; il épouse les déformations, les diverses courbures, les aléas, en pleine conscience et, — à l’abri.

 

3. Porte grande ouverte.

Qu’elle soit chez elle ou à l’extérieur, la demoiselle a pris l’habitude de toujours laisser la porte grande ouverte. Il n’en a point fallu davantage pour que son étroit logis devienne promptement embouteillé, et, que l’intimité, la tranquillité, la sérénité elle-même s’éloigne en courant. — Ce qui entre dans la conscience d’un individu forme son expérience de vie. Ainsi, n’est-il pas pour le moins étonnant qu’on y laisse pénétrer le plus souvent n’importe quoi et n’importe qui ? Que l’on n’interroge systématiquement, et ce, dès le seuil et à toute heure, la valeur des visiteurs ?

 

4. Attention et texture.

Un jour, un sage annonça à un homme qui lui demandait conseil : « Laisse-moi examiner la forme de ton attention, et je te communiquerai, quant à ton existence, et son allure et sa texture ».

 

5. Les imprimeries.

De belles imprimeries en effervescence, fondées directement dans les ciboulots… des images, des signes nobles imprimés le jour comme la nuit sur les consciences… le souvenir des immortels auteurs, des pensées grandioses, des systèmes splendides gravé pour jamais : dès lors, nous ne serions plus esseulés en ce siècle de l’inculture, de la mollesse, de l’incurie ; — dès lors y entendrions-nous les hautes vibrations, les sons sublimes, les grands résonnements !

 

Photo © iStockphoto.com / Oliver Hoffmann

 

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Migration créatrice

Migration créatrice

17 juillet 2016 par Vincent PAYET

1. L’homme qui éprouvait des émotions.

Une vision. — Des âmes froides par milliards, incapables de ressentir, de vivre, et, peuplant les forêts de l’apathie, encore davantage d’électrodes. Une télécommande géante, un stimulus électrique artificiel régnant en maître, tous deux déclenchant, selon les besoins, tantôt le rire, tantôt les pleurs.

 

2. L’équipement.

Tous les esprits se meuvent dans une mer d’illusion, de superstitions, d’entités surnaturelles ; mais d’aucuns sont naturellement munis de l’équipement de base : d’un masque, d’un tuba et de palmes. « Le rêveur flotte parmi les fantômes des profondeurs ténébreuses ; le poète est un plongeur muni d’un tube respiratoire » (A. Koestler)…

 

3. Le corps et l’esprit des mots.

Les représentations anciennes s’effacent, les cadres existants s’évanouissent ; au-dessus des lois, à l’intérieur d’une idéation devenue spontanée, d’un chaos fécond, d’un mouvement délié, émancipé, la pensée créative célèbre son existence, sourit, — virevolte. Et, bientôt, amenés par des vents inconnus, les premiers signes se mêlent, le verbe annonce sa présence : les ailes frémissent, les mots se posent sur leur support, frais, inédits, énergiques. Au sein de ce processus complexe, au milieu de cet enchaînement portant en lui les traces de l’évolution — celle de l’espèce, de l’individu, de sa pensée et, maintenant, de sa phrase —, participant à la valse de la plume, interviennent, et d’une manière essentielle, l’émotion, le sentiment… la sensibilité esthétique, la cénesthésie… l’intégration : le corps et l’esprit.

 

4. Migration créatrice.

Ignorant tout ce qui est tenu communément pour le bon sens, baignant dans l’illogisme, flottant dans l’absurde, il relie, dans la patience la plus pure, les points les plus éloignés, les abstractions les plus étrangères : des sensations, des perceptions, de la matière consciente et inconsciente — il convoque les idées, ils rassemblent ses affluents. C’est en cet état presque irréel que, résidant à la fois en tous lieux et nulle part, indifférent à ce qui a été et a ce qui est, profitant de l’élan acquis, et sans forcer, semblable à un poisson dans son élément, l’animal inventif regagne la surface. Là, il ouvre momentanément la bouche, et déverse ses idées neuves, ses flux jadis endormis, son fleuve d’or ; momentanément car, déjà, la créature des abysses a disparu, qui vagabonde désormais parmi les régions incertaines, et pour un moment… — avant la prochaine migration, la future création, l’impatiente ascension — avant sa plongée dans les eaux plus claires, sa remontée du mystère vers la lumière.

 

Photo © iStockphoto.com / nuanz

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