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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Archives pour mars 2016

Un sang impur abreuve nos sillons

15 mars 2016 par Vincent PAYET

Je cours, tu cours, il court, nous courons…

Telle est la course effrénée des destinées qu’elle rend invisible aux consciences toute autre réalité, toute autre existence.

Comme ces cadavres mutilés sur le champ de bataille qui continuent à courir, happés par l’ivresse de l’instant, elles persistent et s’agitent en tous sens, avec toujours plus de nervosité, – et tout à coup elles aperçoivent leur sang qui s’échappe : le sablier est transpercé, la vie même fuit la mort !

Nous apercevons-nous mieux dans la frénésie (de la guerre, de l’emploi, du plaisir, du vice…) que dans le calme ?

Les mutilés de guerre, du « travail », de l’existence sont partout : les terres des villes et des campagnes accueillent sans cesse de nouvelles ruines ; un sang « impur », désolé, recouvre continuellement les sillons de sa nappe silencieuse – la sève s’écoule, le Temps se dessèche. Mais comment des ombres si « pressées », si indifférentes et inconscientes pourraient-elles s’en rendre compte ? Peut-on être à la fois si vivant et si éteint ?

J’ai eu récemment l’occasion de visiter un champ de bataille. J’y ai vu des âmes perdues, des âmes sur le point de tomber au champ d’honneur, je veux dire des consciences qui étaient en train de mourir lentement pour leur conception dénaturée, pour leurs convictions, pour leur vision décadente de la vie. Je suis resté un long moment immobile, observant le spectacle que la nature m’offrait. J’ai examiné des visages, des corps, des couleurs, des formes d’une diversé prodigieuse. Ici un enfant frétillait et riait aux éclats, là, transporté par le fauteuil roulant et hurlant des années, un homme dans la vieillesse semblait éprouver la souffrance et la fatigue, et un incroyable regard vague s’extirpait de ses orbites – quand on est emporté depuis très longtemps par l’expansion qui s’accélère, tous les repères semblent fuir : l’oeil et la figure s’égarent dans la brume, enveloppés par l’indescriptible irréalité. – La vie se déployait devant moi… Ce qui surprend dans les centres commerciaux, c’est l’allure des êtres passants et la nature de l’expression des yeux : les pas et les globes paraissent tellement sûrs d’eux, tellement sûrs de la route, du sens, de la destination ! – Tant d’assurance au sein de tant de désordre et d’inconnu : cela ne peut pas passer inaperçu, et encore moins laisser indifférent!

Et plus je m’abandonnais à la contemplation, plus la terrible sensation m’envahissait : toutes ces âmes étaient en train de devenir des machines ; elles résidaient dans un vaisseau, dans une existence évoluant insensiblement en pilotage automatique.

À ce sujet, à propos des « partisans de l’évasion hors la vie », des « intoxiqués », de la « part immense de l’humanité assise dans les ténèbres de la mort », François Mauriac n’a-t-il pas écrit dans son Journal que « tel est leur nombre que, s’il nous était connu, nous en demeurerions accablés » ? – Eh bien, à ce moment, dans l’ébahissement : « accablé », je l’étais bel et bien…

Je cours, tu cours, il court, nous courons…

Je cours, tu cours, il court, nous courons, et cependant les sillons se désaltèrent.

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Le progrès ou l’évolution de l’homme moderne

Le progrès ou l’évolution de l’homme moderne

14 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / i3D_VR

 

Il existe, d’une part, le raisonnement, la logique, l’enchaînement régulier, la méthode, le mécanisme et, d’autre part, l’intuition, la sensibilité, l’inspiration, le harsard. Vraiment ?…

On imagine aisément un futur dominé par les nombres, par les données, par les règles, par les lois. Des chemins toujours plus « sûrs », réglés, contrôlés, froids. On se le figure facilement parce que c’est sans peine que depuis leur présent, à travers la lucarne en triangle, les hommes d’aujourd’hui découvrent l’ombre nettement visible de cet avenir. Mais une évolution bénéfique ne repose pas sur l’exil des facultés créatives, sur une destruction en règle de l’inspiration et de son expression spontanée, puissante et amorale. Non, le véritable progrès implique plutôt une régulation bénéfique, un équilibre : le couple harmonieux de la raison sage et de la folie dionysiaque – il nécessite les épanouissements synchrones de ces forces de natures diverses, au sein d’un même ensemble. Et c’est ce système complexe et régulateur, cet intégrateur, composé de ces puissances créatrices impérieuses et égoïstes ainsi que de pensées modératrices plus lentes, plus sages, plus « empathiques », plus « altruistes », qu’il s’agit d’optimiser – parce que sur lui repose en grande partie la destinée des sociétés humaines.

La créativité doit être maîtrisée puisque les inventions totalement libres, complètement          « indépendantes d’esprit », fournissent bien souvent en s’exprimant les preuves irrécusables de leur toxicité – il suffit de faire parler l’histoire pour qu’elle vomisse les faits tout à fait évidents, les uns après les autres. Des créations, trop nombreuses pour être comptées, après leur éclosion, mettent inexorablement l’humanité dans une position, dans un mouvement où, au lieu de goûter les merveilleux fruits du progrès, elle le subit.

Mais cette maîtrise, ce contrôle, ne peut être mise en oeuvre que dans un second temps, et par une pensée extérieure, car en imposant des contraintes au processus créatif, en l’insérant dans un carcan, si noble soit-il, on le mutile, on ampute sa liberté, on le dénature. – On entrave la manifestation de son essence, on déclenche sa viciation. – On saisit une toile vierge et on la défigure à coups de couteau.

Il est primordial que l’humain développe des outils inédits, élabore une manière de penser fraîche et regroupe des personnes compétentes afin de poser un regard pénétrant sur son développement actuel et à venir, afin de disposer d’un jugement plus fin, plus perspicace – un jugement auquel il pourrait se fier régulièrement lorsque le doute l’assaille, tel un ouvrage inestimable toujours placé sur la table de chevet pour qu’il soit consultable, le cas échéant.

L’Homme n’a pas l’embarras du choix : il doit créer des moyens d’évaluer les « nouvelles avancées scientifiques au regard des intérêts de l’évolution1 » : il ne peut plus se permettre de ne pas refuser les innovations pouvant mettre en danger le « bien-être collectif » – idée déjà développée par Mihalyi Csikszentmihalyi dans son livre La créativité.

Il faut que la liberté, indispensable à l’acte créateur, soit respectée et épargnée, mais les productions du processus de la découverte doivent faire l’objet d’une surveillance constante et d’un contrôle de la qualité strict avant leur intégration dans la culture. Le point essentiel concerne donc le degré d’indépendance, le « degré de liberté » estimé légitime et accordé à chaque information émergente susceptible de devenir en très peu de temps « virale » dans un monde hyper-connecté, laquelle veut par nature déverser sa « substance », communiquer son essence, s’exprimer et se répandre, comme mue par une « volonté de puissance » (Nietzsche) démesurée et égoïste. – Il devient urgent que l’astronef de la créativité ait son commandant, et ce commandant… c’est la sagesse.

Il n’est que trop vrai de dire que la route sur laquelle s’est engagé le progrès, l’évolution de l’Homme, n’est pas encore telle qu’elle devrait être, que le grand vaisseau attend toujours d’être introduit dans une voie plus favorable, que ce changement salutaire se fait attendre, et que l’immense fourvoiement menace. Dans une telle situation, comment ne pas ressentir, ne serait-ce qu’un court instant, la tentation inouïe du vertige, l’appel de la vision trouble et noire des choses, de la vie, du monde ? Mais l’Humanité ne possède même pas le temps nécessaire à une petite promenade dans le pessimisme radical ! – il ne lui est même plus laissé la possibilité de se laisser aller à la dispersion, à la dilapidation de ses volontés, au gaspillage de ces énergies !

Car en effet, tandis que l’évolution a pris son vol il y a fort longtemps, l’esprit créatif, avisé, élevé, lui, continue à accumuler un formidable retard : un trop grand retard ? – La bête évolue, certes, mais le bipède sage, lui, tarde à venir, – traîne les pieds…

 

  1. Mihalyi Csikszentmihalyi, La créativité (Paris, coll. Réponses, Éditions Robert Laffont, 2006, 1996), 303-304.

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La solitude plurielle

La solitude plurielle

12 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / AliWoodard

 

Il est cette solitude qui sépare d’autrui, cet isolement ressenti au sein même de la foule agitée, la solitude de l’objet, de l’arbre, de la pierre, de la nuit, des lieux. Être seule, seul, à l’écart du bruit, de l’effervescence, du commerce du monde : cette solitude plurielle a quelque chose d’effrayant et d’excitant. Mais voit-on toutes ces solitudes ?…

Cette solitude qui fait souffrir, que l’on supporte ou que l’on recherche. L’horrible solitude que l’on souhaiterait partager, ou bien l’agréable solitude que l’on garde prisonnière.

La solitude qui a soif d’elle-même et la solitude qui ne se supporte plus. La solitude qui régale et la solitude dont on ne peut rien garder… celle que l’on goûte ou celle que l’on vomit. La solitude qui effraye et dégoûte ; celle qui amuse et rassasie.

La solitude qui transforme des âmes expansives – ces « places » fréquentées, ces édifices en vue –, en des âmes reculées, en des constructions nouvelles et retirées, qui métamorphose des consciences mornes en consciences gaies et des esprits enjoués en empires désolés.

La solitude volontaire ou subie : solitude positive de l’esprit qui observe, médite, crée ; solitude négative de l’existence esseulée, abandonnée, désespérée – entité à facettes, aux innombrables mystères.

Au milieu de tout ce remuement, combien d’individus tentent de la déchiffrer, j’entends par là combien essayent d’en deviner le sens et la valeur ?

La conscience, cet endroit dépeuplé où il n’existe plus qu’une seule volonté, ce tombeau socialisé, survivra ou vivra : en accueillant la résignation, elle deviendra un tombeau véritable – parce qu’elle se soumettra à son état –, une vraie solitude, un vrai isolement ; en recevant avec de grandes démonstrations de joie l’enthousiasme, elle évoluera au contraire en lieu gai ; enfin la conscience peut également considérer la possibilité d’une existence qui mêle le triste et le joyeux, l’éventualité de l’espace multiple.

Nous naissons, nous vivons, nous mourons seuls. Et cette solitude peut soit être partagée, soit se tenir isolée. Du malheur des hommes, elle n’en est pas responsable : c’est à l’intérieur de chaque âme qu’il faut chercher le sauveur et le coupable, car c’est elle toute seule qui fait choix, elle toute seule qui se décide pour la joie ou pour le chagrin, – elle toute seule qui produit sa pluie et son beau temps.

Ô solitude ! toi qui est tantôt encensée, tantôt dédaignée, qui inspire et qui détruit, qui fait partie de la nature intime des choses et des êtres, comme tu te moques des considérations humaines, comme tu planes fort loin au-dessus d’elles ! Tu a connu la chaleur, l’agitation, la densité inouïes et tu connaîtras le silence, le froid et le calme immenses. – Tu es celle qui était, qui est et qui restera.

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L’art de la guerre ou les avantages d’une guerre contre soi-même

L’art de la guerre ou les avantages d’une guerre contre soi-même

11 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / strelss

 

Ce qui compte finalement aux yeux des esprits libres, ce ne sont pas les victoires sur l’empire d’autrui, sur le royaume de ses pensées, la destruction du domaine de ses convictions, la capitulation de sa personnalité, le trouble au sein de son identité – non, ils ne s’éprennent pas à ce point du goût du sang d’autrui ! –, ce qui importe avant tout c’est le triomphe de la logique, de l’entendement, de la sagesse humaine (dans ses formes les plus nobles, les plus éthérées), c’est de mener le bon combat pour la défense de la vérité – c’est la victoire de l’esprit sur l’ignorance, du jugement sain sur la folie.

Il s’agit, certes, de porter constamment la guerre dans un pays, mais le plus souvent ce pays c’est soi-même. En outre, l’individu n’est-il pas pour lui-même l’ennemi le plus                       « commode » : le plus disponible et le plus coriace ?

Vaincre l’autre ou vaincre ses propres croyances, cela permet dans les deux cas la grande célébration – celle de l’esprit critique qui crée et détruit, celle des métamorphoses, celle des morts et des naissances nouvelles –, mais « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire1 », aussi est-elle plus belle la fête qui survient après que l’individu s’est affronté, a dominé et terrassé positivement tout l’antérieur de sa forme, de son essence.

Et chez les natures « préparées », ce mouvement incessant que produit la quête de la vérité nourrit l’élan, les forces vitales : il est énergie, il est renforcement de l’instinct de vie et de sa mise en œuvre – un noble bois alimentant le feu, embellissant la flamme.

Accueille donc tes opinions contradictoires, ton chaos, tes principaux pourfendeurs, et à bras ouverts, avec bonheur ! Deviens l’âme qui salue la lame la plus aiguisée, et, en réponse à l’éclat de sa pointe qui te transperce, confie-lui ton sourire le plus sincère ! L’âme sage sait considérer les petites voix les plus mordantes, le doute lui-même, et le recevoir comme il convient de le faire, c’est-à-dire en qualité de compagnon de route nécessaire et bénéfique. Elle devine par intuition que la rencontre de toutes ces convictions contraires, ces âpres luttes, ses collisions, ces chutes en cascades constituent des occasions inespérées pour un grand rafraîchissement du coeur, pour un formidable lavement de cette conscience encombrée jadis par des ruines immobiles, – que ces coulées de lave fraîches, ces phénomènes contribuent à l’indispensable assainissement et aux merveilleuses exaltations !

Ainsi donc, tu dois célébrer toutes ces précieuses occasions de croiser le fer, d’exprimer ta complexité, de dévoiler la réalité… les aimer comme tes amis les plus intimes… les honorer.

« Dans quelle mesure le penseur aime son ennemi. […] Chaque jour tu dois également partir en campagne contre toi. Une victoire et une position conquise ne sont plus ton affaire, mais affaire de vérité ; de même ta défaite n’est plus ton affaire2 ! », écrivait Nietzsche.

 

  1. Pierre Corneille, Le Cid.

  2. Friedrich Nietzsche, Aurore (Paris, GF-Flammarion, 2012), 240.

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Dionysos, désir d’empyrée, désir d’infini

Dionysos, désir d’empyrée, désir d’infini

10 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / Songquan Deng

 

Dans quelles régions se dissimulent ces esprits attirés par les cimes et les souterrains, l’azur et les abysses, l’empyrée et le noyau, ces êtres intenses, sensibles, contradictoires, complexes, ces personnalités aux multiples facettes, riches, débordantes, bouillantes, – dionysiaques ?

Laissent-ils encore le grand tranchant égaliser, aplatir, amputer leurs aspérités, leurs trous, leurs bosses, leurs pics… rogner leurs pousses naissantes et timides, leur ramure… abattre leurs désirs les plus forts, leurs plus hautes aspirations… scier la charpente et les ailes de leur esprit ? Permettent-ils encore qu’on les débarrasse de ce qui est « inutile », c’est-à-dire de ces choses communément considérées comme des attributs superflus ?

Les âmes autorisent-elles toujours qu’on les range sur ces étagères sans fin, qu’on les insère dans des rangs parfaitement droits, qu’on les disposent au sein d’un ordonnancement implacable, la tête bien rentrée dans la poitrine et sous la grande capuche sombre, tels des flacons assommés et asphyxiés avec un terrible bouchon, tels des objets accablés, ratatinés sous la charge des désignations, des spécifications, – écrasés par la massive dénomination autoritaire, par cette effroyable classification impérieuse des choses ?

Il existe des forêts de géants ensommeillés : des arbres qui ont subi la distraction, qui ont été « poussés » dans la mauvaise direction : « La tête vers la Terre ! dans le sol ! », leur a-t-on dit à chaque fois avec cette petite voix abritant la pointe acérée et l’injure. Ils n’ont pas su déployer l’égide lumineuse de leur indifférence. En conséquence, leur existence a pris un envol à rebours ! – dès lors, elle n’a pas cessé de s’enfoncer toujours plus dans la mare fangeuse, – cependant que les secondes en pluies torrentielles s’abattaient sur sa proie, – cherchant continuellement dans cette boue épaisse, dans le cauchemar, une lumière qui se raréfiait.

Mais il est des êtres émergents qui quittent les sylves ténébreuses et hantées, qui sortent du pays du songe mensonge : ils découvrent dans leurs interminables errances des sources, des ressources d’une profondeur, d’une force, d’une richesse insoupçonnée, – ils finissent par retomber sur leurs pieds ! par retrouver leurs racines ! Celles-ci se redressent sur leur lit et s’étirent, une force neuve, printanière les anime : elles ont retrouvé la soif – le sang leur bout de nouveau dans les veines !

Et les voilà qui repartent dans le « bon sens », croisant dans leur remontée le souvenir de leur égarement, lequel descend maintenant et s’éloigne peu à peu – le mouvement contre nature pique désormais du nez !

Les aperçoit-on, les âmes renaissantes, ces natures se rétablissant dans leur identité originelle, se cicatrisant, levant la tête vers Phébus, libérant leurs forces et s’élançant à l’assaut des hauteurs, de la peur, de l’existence ? Sent-on leur inspiration délirante, leur enthousiasme déchaîné ? leur soif d’élévation, d’évolution, – leur désir d’empyrée… leur « désir d’infini1 » ?

 

  1. « Désir d’infini » est le titre d’un intéressant ouvrage de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan :

    Trinh Xuan Thuan, Désir d’infini (Librairie Arthème Fayard, 2013).

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Les pieds changent le monde

Les pieds changent le monde

9 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / Richard Griffin

« La nature agit par progrès : itus et reditus. Elle passe et revient; puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc. La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours; elle a ses allées et venues1. »

Blaise PASCAL.

Le progrès présent traduit nécessairement une évolution favorable. Il illustre bien l’idée d’un amendement général de l’humanité, il en constitue la preuve. – N’avons-nous pas des gens qui croient à de telles absurdités ?

Pourtant, n’est-il pas manifeste que, dans sa forme actuelle, le progrès n’est ni plus ni moins qu’une idole supplémentaire à laquelle s’accroche de toutes ses forces la foule aveugle dont, parmi elle, un grand nombre d’individus dits cultivés évoluant chez les scientifiques, les écrivains, les artistes… ? Ne voit-on pas que cette entité, sous le masque de l’innocence, de la candeur, ricane d’un air mauvais, et que cette bouche ricanante laisse transparaître, pour qui pose sur sa réalité voilée un regard pénétrant, des crocs effroyables au milieu d’une immense gueule béante ? Ne pressent-on pas qu’en corrompant la notion même de progrès, cet Homme bête a réuni les conditions nécessaires à son déclin, et qu’il est sur le point de périr, dans un phénomène que l’on pourrait qualifier d’« accident grotesque et ironique de l’évolution », par la main d’un hasard malicieux profondément souillée et animée par la grande sottise ?

À chaque pas que le progrès humain fait, des graines, des pousses, des mondes émergents et des univers potentiels sont éradiqués, innombrables, – aussi est-il judicieux pour les horticulteurs géants d’être vigilants quant à la disposition de leurs pieds ! – Car ces derniers peuvent permettre à de magnifiques jardins luxuriants de prospérer, à une multitude de plantes, de fleurs, de fruits exotiques et variés de croître, à une beauté exotique de s’épanouir, ou bien favoriser une friche « popularisée », une crise totale, la stérilité des sols, la grande toxicité : la formidable pauvreté de la culture dans son fond et dans ses formes. – « À chaque pas que l’homme fait, il écrase des univers, empêche l’éclosion d’un peuple innombrable d’infiniment petits », écrivait Zola.

Il y a meutre, il y a aussi stupidité, lorsque la créature humaine méprise les générations présentes et futures, dès lors qu’elle crache au visage d’une expansion portant en elle une sève bouillonnante et des promesses grandioses, une expansion transportant et semant la vie, – une vie débordante de joie, de puissance, de richesse.

Et, il y a folie, il y a aussi lâcheté, quand les êtres oublient que les propriétés de leur pensée et la nature de son cheminement comptent, oublient que l’essence de leurs conceptions – de ces petits pieds mentaux – et la manière dont on les laisse gambader dans le grand jardin (interne et externe) sont « essentielles », en définitive, – quand les individus oublient que les pieds changent le monde…

Enfin, il ne faudrait surtout pas confondre, au sein de nos sociétés, les « progrès » de ces minuscules pattes – le progrès peut être défini comme suit : « Marche en avant, mouvement dans une direction définie2. » – s’agitant en tous sens, telles des possédées, ce progrès formel donc, avec le progrès réel, cette « transformation graduelle du moins bien au mieux3 ». Tous deux sont, certes, des transformations, mais le premier est aveugle, tandis que le second sait où aller ; celui-ci « possède » une direction, un sens, une finalité : il tend, de toute son âme, de tout son être, de toute sa force, – vers le mieux.

 

  1. Blaise Pascal, Pensées de Blaise Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, 1847, p. 315-316.
  2. André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e éd., 2010, p. 838.
  3. André Lalande, ibid, p. 839.

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Expurger l’esprit ou expulser les indésirables

Expurger l’esprit ou expulser les indésirables

8 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / WINS86

 

Quand l’esprit jouira-t-il d’un grand lavement, d’une noble purge ?

À quel moment débarrassera-t-on les greniers des objets futiles et poussiéreux, le monde des idées, ces sociétés abstraites, de leurs éléments, de leurs « membres » les plus malades, les plus décadents, les plus destructeurs, mettra-t-on les criminels avec leurs pareils, favorisera-t-on la mise en oeuvre de la rude saignée, purgera-t-on les appareils sociétaux, les mauvaises conduites, éliminera-t-on les agents indésirables, le toxique ?

En quel temps la culture sera-t-elle nettoyée de ses scories, de ses préjugés, de ses immondices, – de ces idées ruinant les cités, gangrenant la belle pensée, les âmes, les générations en véhiculant, en inoculant les doctrines néfastes, le pernicieux, le pourrissement, la déchéance ?

L’heure n’est-elle pas suffisamment mûre pour qu’ait lieu un assainissement véritable et systémique des lois, des valeurs, des références intellectuelles, des modes de vie, – pour une purification minutieuse de l’ensemble des acquis des civilisations ?

Comment se fait-il que l’urgence de la situation, pourtant si manifeste, n’apparaît pas aux yeux de tous ? Par quel phénomène étrange ne perçoit-on pas la nécessité de la désinfection et de la destruction, – le caractère vital de l’anéantissement de chaque parcelle de la grande décharge, de chaque ordure, de chaque meme fétide ?

En somme, n’est-il pas évident qu’un nettoyage de qualité, qu’un amendement généralisé de l’esprit des peuples, de cette conscience commune, de cette épistémè, s’impose ? et que cet amendement implique d’expurger l’esprit, de le rendre tout neuf ?

 

Les informations culturelles neurotoxiques devraient déjà, dans ce vaisseau rond, être considérées comme des hôtes qu’on ne peut accepter, comme des entités devant être inscrites sur des listes spéciales, et qui seraient rayées avec détermination lorsque l’occasion se présente.

Pendant que des hordes sanguinaires, des hordes de gêneurs, de parasites, de personae non gratae affluent et prolifèrent dans les royaumes, s’épanouissant en nuisant à l’équilibre de l’ensemble, l’Humanité à la vision encombrée et rendue floue, les accueille gaiement, et cela, précisément lorsque la salubrité a le plus besoin qu’elle leur oppose son cri le plus élevé et le plus résolu, – qu’elle leur assène son : « Débarrassez le plancher !… Gardes !… débarrassez-moi de ces importuns ! »…

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